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L’énergie du désespoir

La fureur maladive de quelques-uns nourrit le courage admirable de millions d’autres. Ceux-là ont en commun de résister au règne de la terreur et de l’absurde. C’est le cas des Ukrainiens, bien sûr, qui refusent depuis neuf mois de mettre un genou à terre devant le despote russe, quand bien même le ciel leur tombe sur la tête. Leur flamme, intacte, attise chaque jour la colère venue de Moscou. Un froid de Sibérie s’abat sur les terres brûlées, s’engouffre dans les entrailles des demeures éventrées. Qu’importe. Si les habitants de Kiev n’ont plus d’électricité, ils ne manquent pas de jus. Ni d’idées lumineuses. Au bloc, des chirurgiens opèrent à la lampe torche. Les couloirs du métro, salutaire refuge sous les bombes, servent aussi de plateau télé à l’émission The Voice. «The show must go on» dans la patrie de Zelensky.

Le vent de révolte fait trembler les régimes autoritaires. Les Iraniens en sont un parfait exemple depuis maintenant plus de deux mois. Par dizaines de milliers, femmes et hommes envahissent les rues pour réclamer «mort au dictateur». Pour que justice soit rendue à Mahsa Amini et aux quelque 400 victimes d’une répression toujours plus meurtrière. On ne fait toutefois pas taire un peuple épris de liberté en le bâillonnant. Les voix sont capables de s’élever sans rien dire. À l’image de l’équipe nationale de football, qui n’a pipé mot lorsque a résonné l’hymne pour son premier match au Mondial qatarien. Les joueurs ont certes fini par le fredonner vendredi, mais du bout des lèvres. Difficile de les blâmer, tant les représailles menacent les familles au pays.

Le ras-le-bol s’empare même des Chinois, d’ordinaire disciplinés et tributaires du «crédit social», ce système de bons et mauvais points qui régit leur vie quotidienne. On savait que Pékin n’était pas franchement l’empire du juste milieu. Cette fois, c’en est trop : la politique du zéro covid plonge plus de six millions de personnes dans un confinement sans fin. Le feu qui couvait embrase à présent les manifestants dressés tous les soirs contre les barricades et les matraques. Du rarement vu. Ainsi, d’Ukraine en Iran et jusqu’en Chine, tous protestent à leurs risques et surtout leurs périls. Mais avec l’énergie du désespoir, puisqu’il n’y a plus rien à perdre.

Alexandra Parachini