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Le doigt dans l’œil

Le digital marque notre époque de son empreinte. Décarbonée, nous promet-on, pour soulager les consciences. Sur le papier, vrai que c’est génial. Quelques clics, en deux temps trois mouvements, pour nous simplifier la vie. C’est bon pour la planète, puisque les feuilles mortes ne se ramassent plus à la pelle. Les encres toxiques coulent nettement moins. Et puis, ça favorise l’inclusion sociale, nous dit-on pour justifier le progrès. Les idées germent et les initiatives fleurissent, grâce au digital. Dans les pays développés, on lui consacre tout un ministère. Les dirigeants en font leur boussole politique, économique. C’est qu’il faut être à la page. Parce que l’avenir s’écrit en langage HTML, parce que les métiers de demain ne pourront plus s’en passer.

Parlons déjà d’aujourd’hui. Quand on pose le doigt sur le digital, on risque surtout de se le fourrer dans l’œil. À tant s’en remettre au numérique pour tout et souvent n’importe quoi, on en oublie l’essentiel : l’humain. Les têtes pensantes ne doivent pas beaucoup éprouver le système au quotidien. Nombre de démarches banales sont devenues insurmontables. Déclarer la perte d’un permis de conduire? Ne vous déplacez plus dans un commissariat, on vous renverra sur le site web dédié. Renouveler sa carte d’identité? La requête ne dépassera plus le guichet d’une mairie, dont l’agent vous enjoindra de franchir un portail en ligne. À condition d’avoir les clés pour l’ouvrir. Et de déployer des trésors d’ingéniosité pour comprendre le mécanisme. Il est presque plus aisé de trouver la combinaison d’un coffre-fort. Inclusion sociale, c’est bien ça?

Si elle ne décime plus des forêts entières, la paperasse est ainsi remplacée par des procédures ubuesques. Histoire de décourager plus d’un citoyen qui aspire pourtant à davantage de vertu. Et tous ne sont pas familiers de technologies complexes. Ni connectés à Siri, Alexa et autres assistants virtuels. Dans ce monde bien réel, nos aînés n’ont pas vu le jour avec un smartphone greffé à la main ni la 5G dans les gênes. Beaucoup auront toujours besoin de tremper la plume pour formuler une doléance. Et d’un interlocuteur, en chair et en os, pour les guider dans la jungle administrative.

Alexandra Parachini