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Le bruit et l’honneur

Le silence, on lui prête bien des vertus trompeuses. D’aucuns estiment qu’il vaut de l’or, pour qu’une part de mystère puisse briller. Il peut s’imposer naturellement, quand on veut prendre de la distance. Certains en font parfois vœu. Forcément contraint ou pleinement accepté. La société lui accorde collectivement une minute, pour honorer la mémoire de quelqu’un d’important ou se souvenir d’un évènement douloureux. Ça dure généralement beaucoup moins longtemps, du reste. C’est dire la valeur relative du symbole.

Le silence, chacun peut l’invoquer afin de protester devant une mise en accusation. Il est également redoutable pour répondre aux imbéciles, paraît-il. Bien sûr que non, il faut répondre aux imbéciles en leur disant clairement qu’ils le sont. Garder le silence, c’est surtout taire des injustices criantes. C’est étouffer des aspirations exaltantes et ruminer de profondes déceptions. C’est accepter l’inacceptable et laisser sans voix ce qui doit être dénoncé. Demeurer silencieux, ça peut même faire causer le canon d’un flingue, avec les balles qui sifflent derrière les oreilles.

C’est un poison lent qui nous ronge de l’intérieur. Qui nous enferme dans les tourments du vacarme ambiant. Lentement, sûrement, chaque jour un peu plus. Jusqu’au moment où le huis clos mental, dans lequel l’esprit troublé s’est muré, devient exigu. La bulle de calme avant la tempête finit par éclater dans un fracas du tonnerre. Car le silence est assourdissant. Pour se faire entendre, il faut faire du bruit. Pousser le volume jusqu’à s’en percer les tympans. Hurler sa colère. Pour libérer la parole en toutes circonstances. Clamer haut et fort un désaccord. Et revendiquer des droits bafoués.

Le silence est fait pour être brisé. C’est le seul moyen de reconstruire les rêves qui se sont écroulés. Parfois de se libérer du poids d’un lourd secret. D’échanger avec les autres qui ont leurs propres désirs à formuler, leurs propres réflexions à partager. Rompre le silence, c’est finalement exprimer des choix. Qu’ils soient bons ou mauvais. C’est pour cette raison que l’être humain est doté de cordes vocales et que les citoyens peuvent voter. Faire du bruit, c’est aussi une question d’honneur. Sinon de dignité.

Alexandra Parachini