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La tentation de l’ordre

Ce n’est pas un zéro pointé, mais ça y ressemble : Étienne Schneider devra revoir la copie de son projet de loi de réforme de la police. Dans un avis inhabituellement long (61 pages), le Conseil d’État en étrille quasiment tous les points, jusqu’à l’organisation des services, suspectée de contourner la récente réforme de la fonction publique. C’est toutefois sur la question des libertés que le désaccord est sévère, les conseillers jugeant que le texte ne respecte pas l’équilibre entre sécurité et droits fondamentaux.

Il «privilégie l’aspect maintien de l’ordre au détriment de celui de la sauvegarde des droits et des libertés individuelles», écrivent d’emblée les Sages. Dans leur avis, ils répètent à quatorze reprises les termes «libertés individuelles» ou «libertés fondamentales», appellent huit fois au respect de la «vie privée» et émaillent leurs commentaires de mots fâcheux comme «arbitraire» et «discrétionnaire». Ce qui chiffonne le Conseil d’État, ce sont les nouvelles missions de police administrative, conférant aux agents une autonomie accrue vis-à-vis du pouvoir judiciaire. La police serait dotée de nouvelles prérogatives, notamment dans la conduite des contrôles, des perquisitions ou des détentions. Pour les Sages, ces mesures requièrent le contrôle d’un magistrat afin de garantir les droits des individus et le principe de séparation des pouvoirs. En la matière, le pouvoir judiciaire prime sur le pouvoir administratif, insiste le Conseil d’État.

En bien des points, ce projet rejoint l’idée saugrenue du président français de transcrire en droit commun des mesures de l’état d’urgence instauré dans le cadre tragique d’une vague d’attentats islamistes. Bien que le Luxembourg ne soit pas à l’abri du pire, cette menace y est ténue, reconnaissent les autorités. À ce sujet, les Sages rappellent aussi que dans «la lutte contre la criminalité grave, en particulier le terrorisme», la police judiciaire est dotée des pouvoirs nécessaires. Si l’on ne décèle pas chez Schneider et Bettel l’inclination d’un Macron pour le caporalisme, ce projet témoigne néanmoins d’une volonté du pouvoir politique d’étendre son contrôle sur la société. Une tentation de l’ordre.

Fabien Grasser (fgrasser@lequotidien.lu)