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La peur change de camp

Ne jamais rien lâcher ni céder à la peur. Se battre, seulement armé de courage et de ténacité, finit par faire bouger des lignes que l’on pensait désespérément figées. Même si le prix de la contestation reste trop fort, trop lourd et profondément injuste. Iraniens et Chinois en font la démonstration implacable. Avec des raisons de la colère très différentes, mais la même convergence des luttes nécessaires pour défendre des droits constamment bafoués. D’autant plus face à des régimes autoritaires qui poussent la tentation de l’impitoyable à chaque fois plus loin. Jusqu’au point de rupture, donc.

Durant le week-end, devant le risque d’une paralysie totale du pays, les mollahs ont transpiré à grosses gouttes sous le turban. Contraints dès lors de faire un geste en direction des manifestants qui battent le pavé depuis plus de deux mois. La police des mœurs, celle par qui le scandale de la mort brutale de Mahsa Amini est arrivé, a ainsi été abolie. Ce geste est évidemment à souligner pour sa portée symbolique. Cela n’entame toutefois pas un pouce de la mainmise du pouvoir sur la vie des femmes. Les injonctions d’obéir au strict précepte de «répandre la culture de la décence et du hijab» prévalent encore. Personne ne s’attend d’ailleurs à voir le voile islamique obligatoire tomber prochainement, pas plus que ceux qui l’imposent. La population sait qu’il est bien sûr trop tôt pour crier victoire. Mais certainement pas trop tard pour clamer son aspiration légitime à une liberté sans entrave.

Du côté de Pékin aussi, ces derniers jours, il a bien fallu lâcher du lest sur les restrictions étouffantes du «zéro covid». Là encore, la détermination des habitants, asphyxiés par trois ans de mesures arbitraires, a forcé Xi Jinping et sa cour à desserrer quelque peu l’étau. Sans pour autant éteindre le souffle de la révolte. Mais là non plus, n’allons pas imaginer le début de la fin de la dictature. Car en Chine, comme en Iran, les coups de pression de la rue sont toujours violemment réprimés. Rien n’est consenti gratuitement et les citoyens le paient bien souvent de leur sang. Il n’empêche que cela ne les intimide plus. Au moins, cette fois, la peur a-t-elle déjà changé de camp.

Alexandra Parachini