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La fin d’un mythe

Le message a été bien reçu», a réagi hier Xavier Bettel, avant même la fin du dépouillement. Comment pourrait-il en être autrement? Le résultat enregistré à ce référendum, dont le principal enjeu portait sur le droit de vote des étrangers, est sans appel. Les analyses qui abonderont dans les semaines à venir permettront peut-être de faire le tri entre ceux qui ont répondu aux questions posées et ceux qui ont exprimé leur rejet de la politique gouvernementale, sinon de la politique tout court. Mais cela ne changera rien.

Ce référendum est une claque pour les partisans du oui, qu’ils soient issus du monde politique, syndical, patronal ou associatif. Il sonne aussi la fin d’un mythe : celui d’un Luxembourg multiculturel, du pays le plus pro-européen de l’UE, d’un pays qui mieux qu’aucun autre a réussi l’intégration de ses étrangers. D’une certaine manière, les masques sont tombés : l’illusion d’un pays où tout le monde vit en totale harmonie n’est plus. La semaine dernière, un sondage relevait déjà que 44 % des résidents du pays jugeaient qu’il n’y avait pas de réelle intégration, mais une simple cohabitation entre Luxembourgeois et étrangers.

Les conséquences de ce raz-de-marée en faveur du non ne seront pas anodines. Et l’on ne parle pas là de l’avenir du gouvernement que les principaux ténors de l’opposition ont appelé hier à démissionner, ce qui est somme toute de bonne guerre.

Les vraies questions qui se posent désormais portent sur la cohésion sociale d’un pays dont près de la moitié de la population est étrangère. Quels regards nationaux et étrangers porteront-ils désormais les uns sur les autres? En refusant à la moitié des habitants le droit de participer aux grandes décisions les concernant, ne va-t-on pas vers une communautarisation accrue? Ces risques sont plus réels que d’aucuns ne veulent l’imaginer. Et il appartient maintenant à chacun de prendre ses responsabilités afin que la société ne se divise pas davantage. À commencer par ceux qui comme le CSV et l’ADR ont pleinement joué la carte de la division et de la peur en liant le droit de vote à la nationalité et à la maîtrise de la langue luxembourgeoise.

Aujourd’hui le pays se réveille divisé entre le oui et le non, le second étant massivement majoritaire. Mais il n’y a ni vainqueur ni vaincu, il y a juste le danger de la discorde dans un pays qui fut longtemps celui du consensus et d’une identité forgée par l’immigration. Seul le dialogue peut écarter le danger et c’est la seule feuille de route que chaque camp doit maintenant s’imposer.

N’accablons cependant pas trop les électeurs luxembourgeois. Nul besoin d’être prophète pour deviner qu’un tel référendum serait voué à l’échec dans n’importe quel autre pays européen. Ce résultat s’inscrit dans un large contexte d’interrogation identitaire, de rejet et d’exclusion de l’autre, de recherche de boucs émissaires à la crise et aux grandes tensions internationales qui en découlent. Aucun pays n’y échappe et à ce titre le Luxembourg est un pays comme les autres. À la différence près qu’il compte 46 % d’étrangers. Situation singulière dont l’on aurait pu croire qu’elle ferait du Grand-Duché un exemple d’ouverture dans un monde de plus en plus dominé par les replis et les égoïsmes.

Fabien Grasser (fgrasser@lequotidien.lu)

2 plusieurs commentaires

  1. Christian PIERARD

    Bonjour Fabien,

    J’ai lu avec beaucoup d’attention votre édito de ce matin qui fait suite au référendum et je me permets d’y réagir.

    Tout d’abord, le résultat du référendum n’est une surprise pour personne et je ne pense pas que cela va mettre en danger le modèle luxembourgeois du « vivre ensemble » et de la cohabitation – exemplaire à mon sens – de dizaines de nationalités différentes présentes dans le pays.

    L’erreur en fait, c’est le référendum lui même. Ceux qui l’ont mis en place se sont tirés une balle dans le pied car la grosse majorité des résidents, luxembourgeois de souche ou autres…ne demandait rien.

    Personnellement, je suis Belge et résident luxembourgeois et je ne souffre absolument pas de ne pas pouvoir me mêler de la vie politique dans ce pays. Je trouve que – même si tout n’est pas parfait – le gouvernement assure (pas seulement l’actuel, les précédents aussi) et donne la priorité aux choses essentielles : la prospérité à long terme du pays et le bien-être de sa population. Laisser aux Luxembourgeois les rênes du pouvoir ne me gêne pas tant qu’ils gèrent de la sorte.

    Que peut-on demander de plus ?

    Et qui est frustré de cette situation ?

    Les Portugais (principale communauté après les Luxembourgeois) ? : je pense que la majorité d’entre-eux s’en contrefiche, même la (brillante) jeune génération (mais ceux-là ont la nationalité donc c’est un faux débat).

    Les Français ? Chez eux ils ne sont pas obligés de voter et ne se gênent pas pour bouder la plupart des élections – les taux d’abstention sont hallucinants en France. Alors pourquoi vouloir voter ici ? Importer le modèle économico-social français ? Franchement, qui en voudrait ?

    Les Belges ? Eux sont ou étaient obligés de voter en Belgique…et très souvent, donc, ils voient certains avantages à ne plus avoir cette contrainte et je suis certain qu’ils n’ont aucune envie d’amener dans le débat les pénibles différents communautaires belgo-belges.

    Les Allemands (moins nombreux) ? Rien à battre. S’ils sont conscients de l’efficacité incontestable du modèle allemand, ils n’ont pas envie d’en importer les inconvénients.

    J’ai des amis Luxembourgeois, Belges, Allemands, Français, Portugais, Américains, Mexicains même qui résident tous au Luxembourg. Et ils ne revendiquent rien. Ils veulent juste apporter leur pierre à l’édifice et profiter pleinement des immenses avantages socio-économico-culturels que leur offre cet oasis à nul autre comparable. Tous les jours, ils amènent leurs enfants à l’école (enseignement luxembourgeois, ou européen ou international) et parlent avec plein de gens d’autres nationalités sans que cela pose le moindre problème, au contraire. A ce niveau, ce pays est un modèle d’intégration.

    Alors, pourquoi chercher à dresser les gens contre les autres et signaler des dangers qui n’existent que dans la tête de quelques esprits-chagrins ?

    Vais-je me sentir plus mal suite au référendum en voyant mes amis demain ? Non, et eux non-plus, j’en suis sûr. Et je n’aurai pas besoin « de davantage de dialogue » pour me sentir bien ici.

    Vous le savez comme moi, ici, il n’y a pas de Tutsis et de Hutus, pas (trop) de Serbes et de Bosniaques, pas (trop) de Sunnites et de Chiites, pas (trop) de Turcs et d’Arméniens….prêts au bain de sang au moindre dérapage verbal. Nous devons nous en réjouir et continuer à cohabiter ensemble en sachant qu’un idéal de « vivre ensemble » n’existe de toute façon nulle part. Alors, soyons pragmatiques et évitons de cracher dans la soupe.

    Le vote des « étrangers » n’est de tout façon qu’une question de temps. En attendant, travaillons et défendons ce modèle luxembourgeois qui en vaut bien d’autres.

    Vous allez probablement penser que je suis une larve – politiquement – anémique. Ce n’est pas vrai. J’ai été frontalier pendant plus de 20 ans et je continuerai à m’insurger – chaque fois que nécessaire – sur les discriminations que l’on essaye parfois d’instaurer entre résidents et frontaliers (bourses d’études, crèches…etc). Pour moi, le vrai débat est là : égalité entre tous ceux qui contribuent à la prospérité du pays et qui payent leurs impôts à Luxembourg. Et le fait d’avoir franchi le pas (être résident), n’a rien changé à mon point de vue.

    Et puis si des résidents « non-luxembourgeois » veulent se mêler de la politique locale, rien ne les empêche d’opter pour la nationalité luxembourgeoise, accessible après 7 ans de résidence (bientôt 5 ans si le projet de loi passe un de ces jours) pour 10 ans dans la question du référendum …et cela en gardant (même si ce point n’est pas toujours clair) la double nationalité…

    Amicalement,

  2. Le gars c comme si il avait tout perdu. Ses amis, sa femme, ses gosses, son boulot … Il est quand même étonnant de voir tant de frontaliers passer la frontière chaque jour et un pays avec tant de résidants étrangers. J’ai donc cette impression que chacun y trouve son compte. A part du vent, ce qui s’est passé hier est juste une nouvelle fois un simulacre de démocratie. Un ersatz de débat censé détourner l’attention du brave citoyen des problèmes européens et mondiaux. On divise souvent pour mieux régner, même si sur ce coup là c’était pas vraiment le calcul. L’euphorie du mariage sans doute ….. Le Luxembourg a vécu longtemps du secret bancaire (et un peu de la sidérurgie), mais cette époque est révolue. Alors tout le monde a peur et se réfugie vers ce qu’il connait, souvent pour assurer le remboursement du crédit. Je passe ma journée a écouté parler le portugais mais j’ai surtout appris le luxembourgeois depuis mon arrivée (ce qui me paraissait logique). Le Luxembourg a été un eldorado. Et l’est partiellement encore (de par ses réserves), enfin c mieux qu’ailleurs. Au jour d’aujourd’hui, ce pays ne s’en sortira que si tout le monde s’y met. Luxembourgeois et étrangers. Le contexte change doucement et il faut l’accepter et mettre ensemble les bouchées doubles. On (résidants et frontaliers, luxembourgeois et étrangers) nous a légué un truc. Ca n’a pas toujours été éthique, mais si on est là c’est parce qu’on n’est né ici ou parce qu’on l’a voulu. On ne peut pas toujours prendre. Il n’y a pas que des droits, il y a des devoirs aussi. Alors aujourd’hui, il faut se battre pour faire que ce « potentiel » reste lucide et n’adopte pas une attitude d’enfants gâtés. Tant luxembourgeois qu’étrangers. Je crois que les luxembourgeois ont peur, autant que les étrangers qui se referment parfois autant face aux défis à relever. Les médias ne font que vendre …