En 2004, le groupe alimentaire américain Cargill fait payer 66 millions d’euros au Mexique, coupable d’avoir créé une nouvelle taxe sur les sodas. En 2009, l’entreprise suédoise Vattenfall attaque l’Allemagne, coupable de délit d’écologie : les mesures environnementales rendaient son projet de central au charbon «antiéconomique». En 2011, Veolia attaque l’une des rares victoires des Egyptiens lors du Printemps arabe : l’augmentation du salaire minimum de 41 à 72 euros par mois, mauvaise pour les activités du groupe français en Egypte. Et ça continue…
Cela fait plus d’un demi-siècle que des grandes sociétés peuvent attaquer des États. Mais la guerre s’accélère : sur les quelque 550 contentieux entre sociétés privés et États recensés depuis 1950, 80% ont été déposés entre 2003 et 2012.
Et les multinationales ne visent apparemment pas l’apaisement. Car une arme de destruction massive est actuellement en phase d’élaboration. Noms de codes : TTIP, TAFTA, GMT… Autant d’acronymes obscurs pour définir l’accord de libre-échange négocié depuis juillet 2013 par les États-Unis et l’Union Européenne, et dont la finalité, elle, devient de plus en plus limpide : faire plier les législations nationales selon des normes établies par et pour les grandes entreprises.
L’une des mesures les plus contestées est la mise en place de tribunaux d’arbitrages privés. Ces tribunaux doivent servir à régler les différends entre États et investisseurs privés. Et notamment, pour les entreprises qui s’estiment lésées, de détrousser les États qui refusent de remettre en cause leurs politiques publiques. Le Luxembourg préfère soutenir ses acteurs économiques locaux ? Coupable. Le Luxembourg dit non aux OGM ? Coupable. Le Luxembourg refuse d’«adapter» ses normes en matière d’énergie, de prix des médicaments, ou de respect de la vie privée ? Coupable.
Mercredi dernier, les partisans de ces tribunaux d’arbitrages ont perdu une bataille. Le Parlement Européen était trop divisé pour voter une loi qui tracera les «lignes rouges» que l’accord transatlantique ne devra pas franchir. Mais ce n’est qu’une bataille perdue. Le vote est reporté, et la guerre, elle, continue.
Romain Van Dyck (rvandyck@lequotidien.lu)