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Jugez l’homme, pas l’artiste

C’est mercredi que sortait, en France comme au Luxembourg, J’accuse, le film de Roman Polanski sur l’affaire Dreyfus. Un film événement, Grand Prix du jury à la dernière Mostra de Venise, sur une affaire judiciaire entachée d’antisémitisme qui a divisé la France de la fin du XIXe siècle.

Avec la montée des partis d’extrême droite un peu partout en Europe, le dernier exemple étant venu ce week-end d’Espagne, avec l’explosion des actes antisémites (+20 % en Allemagne et +74 % en France en 2018 selon les ministères de l’Intérieur respectifs), on aurait pu croire que le sujet aurait dérangé des nostalgiques du maréchal Pétain et sa clique. Que des énergumènes auraient pu essayer de perturber la sortie du film, à l’instar des catholiques traditionalistes qui avait déclenché un incendie en 1988 au cinéma Espace Saint-Michel à Paris pour protester contre la projection de La Dernière Tentation du Christ de Scorsese.

Des énergumènes il y en a eu, mardi, devant le Champo à Paris, lors d’une avant-première de J’accuse. Une quarantaine de féministes ont empêché, aux cris de «Polanski violeur, cinéma coupable», les spectateurs d’entrer jusqu’à l’annulation de la séance. Des manifestantes appelant même à l’interdiction du film!

Les accusations de viol contre Polanski sont anciennes. La dernière date de vendredi dernier… Le cinéaste franco-polonais la conteste. À la justice de faire son travail ! À elle de juger l’homme. À personne d’autre. Sinon, cela reviendrait à nier le fait que la France est un État de droit !

Jugez l’homme ! Pas l’artiste dont l’œuvre lui a valu toutes les principales récompenses mondiales du 7e art ! Et surtout pas ses spectateurs. Les considérer complices de quoi que ce soit reviendrait à traiter de nazi tout amateur des Lieder de Richard Strauss ou d’antisémite tout lecteur de Céline. Insensé !

Et puis, empêcher des gens de se rendre à un spectacle, c’est limiter leur liberté individuelle ! Appeler à l’interdiction d’un œuvre d’art, cela s’appelle censure ! En d’autres termes, des ambitions bien plus proches du fanatisme et de l’extrémisme que du progressisme du mouvement féministe.

Pablo Chimienti