En 1894, Jean Jaurès, jeune député socialiste, s’inquiète devant l’Assemblée nationale française de la montée des extrémismes. À l’époque, il s’agit de combattre le terrorisme anarchiste, qui menace les démocraties européennes. Dans l’hémicycle, celui qui n’est alors qu’un débutant dans l’arène politique s’en prend à la corruption des élites, qui serait à l’origine de la révolte. «Rien dans notre démocratie n’est capable de bouleverser les consciences, d’aigrir les haines, de provoquer aux révolutions désespérées, comme les exemples de corruption donnés d’en haut par ceux qui détiennent une part du pouvoir», lance-t-il devant une assemblée médusée.
Plus d’un siècle plus tard, lors du débat sur la prolongation de l’état d’urgence en France, une députée écologiste, Isabelle Attard, a repris à son compte les mots du pacifiste. Elle a ainsi annexé au texte un amendement, rappelant que l’exemplarité des uns est à même d’élever les idéaux des autres. Le document proposait que «soient considérés comme ayant fait publiquement l’apologie du terrorisme tous les hommes publics, ministres, sénateurs, députés ayant trafiqué de leur mandat, touché des pots-de-vin, participé aux affaires financières véreuses» .
Il est évident que les terroristes qui passent à l’acte, et leurs soutiens, sont nourris de la haine d’un système imparfait. Ils puisent dans ce dégoût une forme de renoncement qui les plonge dans leur folie meurtrière. L’idée de Jaurès, reprise 120 ans plus tard, ressemble à une belle utopie, de celles qui rendent les sociétés plus fortes. Reste que condamner la corruption «d’en haut» peut-il servir d’exemple à tous?
Quand l’évasion fiscale devient une discipline à part entière, pour les multinationales et les particuliers, quand des milliards d’euros échappent au contrôle des États qui pourraient s’en servir pour éduquer, prévenir, élever leurs citoyens, l’exemplarité est-elle la solution?
Peut-être. En tout cas, les députés français ont rejeté avec force conviction cet amendement.
Christophe Chohin