Gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge : la maxime colle à merveille au monde du renseignement. Pour les Occidentaux, l’ennemi c’est la Russie et ses cyberattaques mises en œuvre sur le front d’une guerre hybride dans laquelle Poutine excelle. Cela, on le claironne de Tallinn à Los Angeles. Pour ce qui est des amis, les États-Unis ramassent à tout va comme l’a révélé WikiLeaks avec les câbles diplomatiques, les écoutes de la NSA ou, la semaine dernière, l’intrusion de la CIA dans les serveurs internet d’entreprises, y compris au Luxembourg. À chaque fois, la gêne est palpable. Au mieux, les alliés ciblés se fendent d’une bafouille toute en nuance sur le manque d’élégance de l’ami américain.
Au Luxembourg, la traque aux espions s’est déplacée ces jours-ci sur le terrain intérieur, le Service de renseignement de l’État (SRE) étant à nouveau aux prises avec ses propres agents. Depuis que le Tageblatt a révélé que le SRE avait effectué en début d’année une écoute illégale, il est peu dire que l’ambiance est plombée au sein du Service. Sa directrice, Doris Woltz, et sa tutelle politique, Xavier Bettel, ont ouvert la chasse à la source des fuites. Au siège du SRE, on se garde de ses amis, surtout de ses amis… L’explication alambiquée du ministère d’État, imputant l’écoute illégale à un flottement administratif dû aux fêtes de fin d’année, peine à convaincre. S’il y en a qui ont abusé des chocolats de Noël, ils ont en tout cas été prestement sanctionnés, l’agent en charge des écoutes, haut placé dans la hiérarchie, ayant été illico placardisé. L’opposition en fait ses choux gras et exige une enquête judiciaire, qu’elle a obtenue hier. Plutôt cocasse venant d’un CSV dont la gestion calamiteuse de feu le SREL fut une des causes de la chute de Juncker en 2013.
Quoi qu’il en soit, aucun opposant n’ose la question que tout le monde se pose : contre qui le SRE a-t-il déployé ses «grandes oreilles»? Des jihadistes? Des sbires d’un puissant cartel de la drogue? Que nenni! Selon des fuites bien orchestrées, le SRE a espionné un poste diplomatique… ami. Reste à espérer qu’avec sa poignée d’agents, il dispose encore des effectifs suffisants pour se charger de ses ennemis.
Fabien Grasser (fgrasser@lequotidien.lu)