En pleine Orange Week, ils se sont discrètement réunis, posant ensemble les jalons d’un nouveau groupe, exclusivement masculin, au beau milieu des militantes féministes de la JIF (lire notre dossier). Une quinzaine d’hommes entre 20 et 60 ans, hétéros, gays ou trans, Luxembourgeois ou étrangers, déterminés à abattre ce foutu patriarcat. Car loin de n’écraser que les filles, ce système broie aussi tout ce qui s’éloigne un peu trop d’un Homme, un Vrai, ou en tout cas, de l’image qu’on nous en vend.
Mais sont-ils seulement conscients que leur petite pierre prend la forme d’un énorme pavé? Dans un pays qui, il y a encore une quinzaine d’années, se foutait bien des luttes féministes, raillant ces «mal baisées» et ces «vieilles folles» – entendu de mes propres oreilles de jeune journaliste – qui tentaient de défendre les droits des femmes dans le silence assourdissant de l’époque. Ce pays où les femmes ont dû attendre 2014 (!) pour enfin disposer librement de leur corps, autrement dit pouvoir avorter légalement et plus clandestinement.
Sans parler des décennies précédentes, au cours desquelles les fondatrices du MLF dans ce pays ont supporté les pires humiliations alors qu’elles s’échinaient à convaincre les femmes elles-mêmes de leur oppression, dans une société tenue par les conservateurs. Rappel utile : jusqu’en 1974, une femme qui se mariait redevenait mineure aux yeux de la loi. C’est grâce à ces pionnières que la Chambre des députés, 100 % masculine, finit par accorder des droits civils aux épouses. Non sans poser un regard au mieux amusé, au pire méprisant, sur ce qu’ils percevaient comme une lubie.
Aujourd’hui, #MeToo est passé par là, l’information foisonne sur le web, les militants s’y fédèrent, la population grand-ducale a muté et les chrétiens-sociaux du gouvernement ont été poussés vers la sortie. Alors qui sait? Après avoir été si longtemps ignorées, voire moquées, tandis qu’elles étaient portées par des femmes, les revendications féministes vont-elles bénéficier d’un nouvel écho maintenant que des hommes les relayent? Il paraît qu’il n’accorde de crédit qu’aux hommes, le foutu patriarcat. Ainsi, la lame qu’il a lui-même forgée pourrait bien lui porter le coup de grâce.
Christelle Brucker