Accueil | Editoriaux | Du vent dans les voiles

Du vent dans les voiles

L’actualité a cette troublante faculté de livrer des contrastes saisissants. On imaginait entendre l’hymne à la résistance italienne résonner à Rome, qui s’est défaite en un jour, contre une nouvelle dirigeante extrêmement droite dans sa Botte. Bella Ciao, dans une sublime reprise en farsi qui a fait le tour du monde le week-end dernier, est devenu le cri de ralliement des Iraniennes, dansant tous les soirs autour d’un feu de joie autant que de colère. Des flammes pour réduire en cendres le symbole de ce hijab qui a conduit à la mort brutale de Mahsa Amini, 22 ans, parce que mal porté, selon la police des mœurs. L’oppression de trop qui a allumé la mèche du brasier d’où jaillit aujourd’hui la révolte. Voici les cheveux lâchés au vent de la liberté.

Ce vent s’engouffre dans les voiles qui tombent depuis deux semaines. Parce que le foulard, quand bien même «correctement» ajusté, n’immunise en rien celles qui s’y conforment. Ainsi Les Putes voilées n’iront jamais au paradis, pour citer le titre du roman bouleversant de Chahdorrt Djavann. L’auteure perse, exilée en France depuis près de trente ans, connaît le sujet sans doute mieux que quiconque. Son récit, inspiré de faits réels, retrace le destin tragique de prostituées sauvagement assassinées par un tueur en série. Leurs corps suppliciés abandonnés sur le bord des routes. Le suspect sera condamné, non pas pour avoir massacré ces femmes – jetées sur les trottoirs de Téhéran souvent par leurs familles –, mais pour ne pas en avoir tué davantage. Pour ne pas avoir suffisamment nettoyé la société des impures. Société dont Chahdorrt Djavann expose l’hypocrisie à tous les niveaux, surtout les plus élevés. Ces notables, pourfendeurs du vice et chantres de la vertu, vautrés dans la luxure des bordels tout en réprimant violemment ces objets de leur désir coupable. Maquiller la morale cède toujours sous le poids d’une contestation sans fard.

Rien ne dit, toutefois, que le soulèvement populaire mènera à une véritable révolution démocratique. Que le vent sèmera la tempête. Cela n’entame pas un souffle du courage admirable de ces femmes – et de nombreux hommes – qui se dressent contre les lois impitoyables du régime islamique.

Alexandra Parachini