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Droits d’auteur et disruption

Le débat sur la directive sur les droits d’auteur poursuit son cours polémique au-delà de son adoption par le Parlement européen, mardi. Les pirates ont appelé à manifester hier, tandis que le Chaos Computer Club relevait dans un communiqué que «YouTube, Google et co» n’ont pas les moyens de conclure des accords de droits d’auteur avec tous les créateurs. Tant de sollicitude pour ces puissantes multinationales est touchante. Et dit deux choses de ce débat.

La première est que par leur lobbying contre la directive, les GAFA se sont placés au centre du jeu, laissant croire en creux qu’internet c’est eux. Depuis des mois, la discussion est focalisée sur la capacité de filtrage des contenus par YouTube, filiale de Google qui a encaissé 30 milliards de dollars en 2018, grâce notamment aux contenus qu’il ne paye pas. Sournoisement, ils accréditent l’idée que l’internet est la chasse gardée de leur quasi-monopole et que leurs profits sont les garants de nos libertés.

Cette controverse montre aussi leur pouvoir disruptif. «Phénomène d’accélération de l’innovation, la disruption consiste, de la part des seigneurs de la guerre économique, à aller plus vite que les sociétés pour les soumettre à des modèles qui détruisent les structures sociales et paralysent la puissance publique», dit le philosophe Bernard Stiegler sur la stratégie des géants du Net pour façonner la société à l’image de leur idéal commercial. Dans cette affaire, ils ont contesté la puissance publique sur des règles portant (un peu) atteinte à leurs intérêts financiers. Ils clivent des groupes sociaux normalement unis autour d’intérêts communs.

La gauche se soucie ainsi peu de la situation sociale et de la considération accordée à des créateurs dont ils se veulent proches. Plutôt enclins à défendre le business, des partis de droite se rangent du côté d’auteurs qui pensent que la directive préservera leur liberté d’expression contre la puissance de l’argent. Le débat sur les droits d’auteur illustre à merveille le phénomène de la disruption. Mais peut-être aussi qu’au Luxembourg le revirement politique sur ce sujet répond à des motifs plus prosaïques alors que Google joue au chat et à la souris avec le gouvernement, faisant miroiter l’implantation d’un gigantesque centre de données à Bissen. Mieux vaut ne pas trop se fâcher.

Fabien Grasser