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Deux mondes à part

«Je vous envoie mes compliments, poste restante et puis tout ça. […] Là où je suis y’a les montagnes, des prairies et des vallées.» Ces paroles, empruntées au répertoire de Raphaël, collent assez bien à l’ambiance de cette semaine hors du temps et du commun aux côtés de la Croix-Rouge luxembourgeoise, à 2 400 kilomètres d’ici. La communication ne passe pas toujours. Il faut parfois se couper de la civilisation pour en mesurer la fragilité.

Au gré de ce périple qui nous a conduit jusqu’à la frontière ukrainienne, nous avons rapporté des paysages sous forme de cartes postales, encore épargnés par la folie des hommes. Partagé le trouble de ces destinées arrachées à leur existence paisible d’autrefois. Et nous avons été témoin de la solidarité qui s’organise par l’intermédiaire de Myriam, Vladimir, Alex, Sébastien, Ilias, Florian ou Marta, et ces milliers de bonnes volontés de toutes nationalités qui portent, avec altruisme et dévouement, les couleurs de l’organisation. Adrian aussi, ce chauffeur de taxi moldave, à sa manière de résister à l’oppression.

La réalité n’a été ni ternie ni enjolivée. Ce sont juste les photos d’un instant, la vérité d’un moment. Je ne retournerai peut-être pas dans ces contrées si loin de chez nous, de nos habitudes. Une même Europe, deux mondes totalement à part. Je m’y évaderai au fil de ma collection de souvenirs. Ce voyage initiatique gardera le goût d’un reste de pita de la veille, avalé sur la route de Chișinău à la nuit tombée. Il me rappellera les soubresauts de ces routes chaotiques, qui font de chaque déplacement une aventure.

Et surtout ces visages croisés à la frontière ukrainienne, marqués par bientôt trois mois d’une guerre sans pitié, qui racontent sans rien dire la terreur et la douleur, resteront gravés dans ma mémoire. L’expression de cette dame, aussi, à l’aéroport. Ses yeux bleus délavés, rougis par des jours tristes et des nuits sans sommeil, qui me fixent de longues minutes.

Ses mains tremblantes agrippant son passeport ukrainien et son sac usé contenant certainement toute sa vie d’avant. Sans savoir vraiment où aller, perdue dans la foule qui se presse aux portes d’embarquement. Je ne l’oublierai pas de sitôt.

Alexandra Parachini