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Des coups à la société entière

La justice, ce n’est pas se jeter à bras raccourcis sur un coupable, fût-il l’auteur d’un meurtre, peu importent nos peines. Aussi, dans notre dossier du jour, nous nous en tiendrons à l’observation d’un phénomène social glaçant : des dizaines de femmes, au Luxembourg principalement, mais aussi en Belgique ou au Portugal (par ricochet des réseaux sociaux), ont témoigné des pressions qu’elles subissent, dans la foulée de l’émotion du meurtre de Sarah, 22 ans, à Remich le 24 juillet.
On aime tellement, et ça nous rassure, dire que la domination masculine est le fait de sociétés lointaines, où le machisme est institutionnalisé. Tout cela est loin de nous, pas vrai? Interdire aux femmes de conduire, barrer le chemin de l’école aux jeunes filles, proscrire des amours, interdire de danser… c’est une oppression palpable, concrète et «heureusement, ce n’est pas comme ça chez nous», entend-on souvent. Oui ce n’est (globalement) pas comme ça chez nous. Mais c’est justement parce que la domination masculine est plus insidieuse et plus diffuse qu’il faut la traquer avec d’autant plus d’attention. Voilà ce que nous retenons de l’entretien que nous avons eu avec Andrée Birnbaum, la directrice de l’ASBL Femmes en détresse.
«On nous dit souvent que nous sommes féministes!», nous a lancé Andrée Birnbaum à la fin de la rencontre. «Eh oui, nous le sommes.» Puisqu’en quelques mots, la violence conjugale prospère sur un terreau : l’intégration, souvent inconsciente, d’une domination masculine qui permet de justifier des schémas de vie. Et par petits renoncements, pas à pas, on en arrive à cette oppression décrite brutalement par des jeunes femmes qui sont bien de nos sociétés, ici, au cœur de l’Europe.
C’est un dossier complexe, plein de débats houleux (le «genre») et de marqueurs politiques. Au final, c’est un dossier qui mérite d’être ouvert avec plus de clarté : il y a des coups qui ne sont pas l’affaire d’un foyer, mais d’une société entière. Des coups qui interrogent sur notre humanité. Des coups qui sont notre échec collectif, depuis des années.