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De la défense des « valeurs »

« Mon Dieu ! Nous avons pactisé avec le diable turc ! », s’exclame à l’unisson, dans une belle hypocrisie, la classe politique européenne (droite et gauche confondues, surtout lorsqu’elles sont dans l’opposition) après l’accord UE-Turquie censé mettre fin de manière chimérique à l’afflux de réfugiés et de migrants en Europe.

C’est oublier un peu vite que pendant des années, le fait de collaborer avec la Libye de Mouammar Kadhafi, qui traquait et parquait les migrants d’Afrique noire dans des camps de rétention sordides, n’a pas semblé offusquer plus que cela la même classe politique. C’est oublier un peu vite que la France vient de décerner la légion d’honneur au prince héritier d’Arabie saoudite et ministre de l’Intérieur, Mohammed Ben Nayef. C’est oublier un peu vite que les gouvernements européens se sont empressés d’aller faire le baisemain aux mollahs de Téhéran après l’accord nucléaire avec l’Iran afin d’assurer des milliards d’euros de contrats à leurs entreprises nationales alléchées par un marché de près de 80 millions de consommateurs. Les Iraniens et les Saoudiens auraient-ils des leçons de démocratie et d’État de droit à donner aux Turcs ? Cette realpolitik à géométrie variable n’a pas de sens.

«Il n’est pas question de brader nos valeurs», avait prétendu le Premier ministre belge, Charles Michel, avant le sommet de vendredi avec Ankara. Mais il est déjà trop tard. S’ils ne voulaient pas pactiser avec Recep Tayyip Erdogan, il suffisait aux Européens d’accueillir les réfugiés, ce qu’ils ne veulent pas. Les relations internationales ne se fondent pas sur de belles formules et des bons mots mais sur des intérêts.

Au lieu de se draper dans une pseudo- supériorité morale, les Européens pourraient commencer par défendre leurs «valeurs» sur… le territoire européen. Par exemple, le fait de siéger au Parlement européen dans le même groupe politique (le Parti populaire européen, PPE) que le Fidesz du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, ne scandalise pas le CSV luxembourgeois ou Les Républicains français. Partagent-ils vraiment les mêmes «valeurs» que le tsar de Budapest ?

Nicolas Klein (nklein@lequotidien.lu)