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Dans les bras de l’homme nouveau

Le scénario plébiscité par les grands médias français l’a emporté. Emmanuel Macron affrontera Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle française. Résultat sans réelle surprise, mais annonciateur de profonds bouleversements de la politique française.

Macron a réussi la double pirouette de passer pour le candidat du renouveau, tout en imposant l’idée qu’il n’est ni de droite ni de gauche. Pourtant, l’énarque et ancien banquier d’affaires n’est ni l’un ni l’autre. Il est le légataire du quinquennat de François Hollande, dont il a inspiré le virage à droite de la politique sociale et économique.

En 2008, Macron était recruté par la banque Rothschild & Cie en raison de sa capacité à «manipuler ses interlocuteurs», selon son ancien employeur. En parfait illusionniste, il s’est présenté en homme du changement alors qu’il est le candidat de ceux qui veulent que rien ne change. Le candidat de l’argent, celui des politiques ultralibérales qui creusent le sillon des démagogues d’extrême droite. Mais on voit désormais mal ce qui pourrait lui barrer la route de l’Élysée dans un face-à-face avec l’épouvantail Le Pen.

Le Front national poursuit son inexorable ascension, confirmant que son discours haineux et xénophobe, ses appels au repli sur soi alimenté par la peur, touchent des Français dont le nombre de laissés-pour-compte ne cesse de gonfler. Même si le phénomène est plus complexe que cela, le FN fait avant tout son lit sur les inégalités croissantes, plus de 8 millions de Français vivant au seuil ou sous le seuil de la pauvreté.

Face au risque Le Pen, des responsables politiques de droite comme de gauche ont appelé ouvertement dès hier soir à voter Macron. Il y avait néanmoins quelque chose de dissonant dans ce front républicain, notamment au Parti socialiste et au gouvernement, où il était bien perceptible que certains n’attendaient que cette occasion.

Benoît Hamon, le candidat du PS, a également appelé à voter pour le candidat d’En marche. Mais c’est un appel à voter contre Le Pen, car «Emmanuel Macron n’a pas vocation à représenter la gauche», a-t-il dit. En récoltant moins de 7% des suffrages, le PS sort en lambeaux de cette campagne marquée par un long cortège de trahisons. De la campagne socialiste, il faudra retenir la grande honnêteté intellectuelle de Benoît Hamon et surtout les idées nouvelles qu’il a portées, à même de refonder la gauche. «C’est une renaissance douloureuse mais qui sera féconde», a dit le candidat socialiste hier soir.

C’est aussi ce que laisse penser le score exceptionnel de Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France insoumise se hissant dimanche soir en troisième ou quatrième position du scrutin, au gré des variations des résultats. Le score de Jean-Luc Mélenchon confirme, là encore, le rejet des politiques d’austérité et l’émergence d’une gauche qui a parfaitement intégré l’indispensable dimension écologique dans son projet.

En rejetant les deux formations qui gouvernaient la France ces 50 dernières années, les électeurs français provoquent une recomposition du paysage politique. Le PS va se diviser entre progressistes et partisans des politiques libérales qui ont caractérisé la présidence Hollande. Reste à savoir qui conservera les clés de la rue de Solférino, entre des hiérarques délégitimés et un Benoît Hamon fort de sa victoire à la primaire.

La droite, dont le candidat a été définitivement plombé par le «Penelopegate», va se déchirer entre tenants d’une ligne toujours plus droitière et une droite républicaine dont Alain Juppé a été l’incarnation ces derniers mois.

Mais les dés sont loin d’être jetés, car l’on voit mal avec quelle majorité Macron, et moins encore Le Pen, pourrait gouverner. Les législatives constitueront à ce titre un troisième tour inédit. À ce petit jeu, Emmanuel Macron bénéficiera néanmoins de l’éclatement du PS et de LR dont nombre d’élus ne manqueront pas de tourner casaque pour se jeter dans les bras de l’homme nouveau. Ou du moins dans les bras de celui qui devrait être au pouvoir.

Fabien Grasser