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Coup de règle sur les doigts

Parmi les nombreuses traditions du pays, celle de poursuivre en justice des journalistes n’est pas la plus glorieuse. Jeudi, le Français Édouard Perrin a appris son inculpation dans l’affaire LuxLeaks pour vol domestique et blanchiment. Le Grand-Duché est particulièrement sensible lorsqu’on touche à son fonds de commerce  : la fiscalité des multinationales. Denis Robert s’était risqué à percer les secrets des paradis fiscaux avec Clearstream, Édouard Perrin s’est, lui, procuré les arbitrages du cabinet PWC.

Le dernier rapport de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse a fait reculer le Luxembourg de la quatrième à la 19 e place. Un paradoxe, dans une démocratie qui se veut modèle. Avec un Premier ministre également ministre des Médias et une obsession maladive du secret, difficile pourtant de faire un vrai travail d’investigation au Grand-Duché.

Comme souvent, cette inculpation d’un journaliste ressemble davantage à un coup de règle sur les doigts. Comme si, pour ne pas perdre la face, l’État luxembourgeois devait à tout prix montrer qu’il ne tolère pas ce genre de pratiques. Quel sens aurait, au cœur de l’Europe, la condamnation d’un journaliste qui, par son travail, a contribué à davantage de transparence entre les États membres?

Le Luxembourg choisit sciemment d’avoir le mauvais rôle aux yeux de l’opinion publique européenne pour garantir à PWC et aux autres spécialistes de l’optimisation fiscale qu’il fait tout pour les protéger. Bien entendu, la justice est indépendante et ne fait qu’appliquer les textes de loi, textes tout entiers tournés vers la protection des fiscalistes et non celle des lanceurs d’alerte.

Édouard Perrin est plus qu’un journaliste. Il fait partie de ce cercle fermé des citoyens militants, comme Antoine Deltour, autre inculpé dans l’affaire LuxLeaks. De ceux qui choisissent de braver des interdits pour une cause bien plus légitime. N’en déplaise aux juges, la justice est sans doute de leur côté, même si le code pénal dit le contraire.

Christophe Chohin (cchohin@lequotidien.lu)