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Communisme des affects

Mardi, vers 8h, des explosions retentissent dans l’aéroport de Bruxelles-Zaventem. Quelques minutes plus tard, le monde entier est déjà au courant qu’une attaque terroriste est en cours. Vers 9h, nouvelle explosion, cette fois dans le métro. Là aussi, de Luxembourg à New York, en passant par Londres, il est possible de suivre les événements quasiment en temps réel.

Dans la journée, des vidéos d’amateurs sont déjà visibles sur internet, car dans un premier réflexe assez étonnant, à peine quelques secondes après les explosions, certaines personnes présentes sur place sortent leur téléphone portable et filment. Nous sommes derrière nos écrans d’ordinateur ou de télévision au cœur des événements, nous les vivons presque. Les distances sont effacées, à 200 m de la station «Maelbeek» ou à 2 000 km, nous sommes submergés par la même émotion, saisis par la terreur devant les souffrances de ces femmes et de ces hommes touchés dans leur chair.

C’est ce que le philosophe français Paul Virilio nommait déjà il y a plusieurs années de cela le «communisme des affects». Grâce ou à cause des évolutions technologiques, le monde entier devient «une communauté d’émotions instantanées», une «synchronisation de l’émotion» s’opère à l’échelle planétaire.

Si cette émotion mondialisée permet de ressentir de l’empathie pour les victimes, elle représente également un danger et surtout un atout pour les terroristes. En effet, en coupant toute distance avec les événements, les nouvelles technologies ne font qu’accentuer le climat anxiogène de notre époque. Installés bien au chaud sur notre canapé, nous ne nous sentons plus en sécurité devant ce flot ininterrompu d’images qui est inédit dans l’histoire de l’humanité.

Mais au-delà de la question terroriste, ce «communisme des affects» est également une menace pour la démocratie. L’émotion n’est pas la meilleure conseillère, elle empêche de se forger une opinion basée sur la rationalité, de comprendre les tenants et les aboutissants d’un problème. Paul Virilio se le demandait déjà en 2010 : «Peut-on passer de la démocratie d’opinion à la démocratie d’émotion ?»

Nicolas Klein (nklein@lequotidien.lu)