À une époque, la société entendait consommer avec modération. Pour finalement se goinfrer d’une surconsommation jusqu’à l’écœurement. À une époque, la société refusait de goûter au tourisme de masse. Pour finalement croquer à pleines dents le business juteux du surtourisme. La raison d’hier a été engloutie dans les excès d’aujourd’hui. La surenchère, toujours. Pour s’offrir une vue instagrammable.
Du Mont-Saint-Michel au mont Fuji, c’est l’escalade. Et ça se bouscule sur les plages bondées de Thaïlande, de Bali ou de Cancún. L’on ne compte plus les paradis perdus sur Terre, bouffés par les appétits capitalistes insatiables. Même au sommet de l’Everest, se dressent des montagnes de déchets. En mer, les vagues de plastique remplissent la panse des poissons et au bord, les complexes hôteliers dévorent toujours plus de littoral. Ainsi vont les intérêts des plus gourmands, qui se nourrissent sur le dos d’une planète dont ils épuisent les ressources sans scrupule.
Et puis, Venise est devenue la première ville à faire payer un droit d’entrée sur son sol les jours de grande affluence. Cinq euros pour voir ce qu’elle a dans le ventre. Avec un flot de 100 000 visiteurs quotidiens au plus fort de la saison, sans compter ses quelque 50 000 résidents permanents, il faut dire que ça gondole vraiment trop dans la Cité des Doges. Les mauvaises langues font la fine bouche, estomaquées par une telle mesure antidémocratique. Pas plus indigeste, du reste, que le ticket de métro à quatre euros durant les Jeux olympiques de Paris.
Si cette «muséification» à ciel ouvert peut effectivement rester en travers de la gorge, certaines largesses politiques tordent carrément les boyaux. L’abandon des centres urbains au glouton Airbnb, par exemple, a de quoi ulcérer ceux qui souffrent de la crise du logement.
Lors du confinement de mars 2020, l’on s’émerveillait justement d’une Venise déserte, les regards ébahis plongeaient volontiers dans ses eaux si inhabituellement limpides. Chacun, avec les meilleures intentions chevillées au corps, jurait alors d’être moins vorace après la pandémie. Dans le nouveau monde, la boulimie collective laisserait place à davantage de sobriété. Sauf que ça ne paye pas des vues instagrammables.
Alexandra Parachini