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Aveugler le dragon

« George Washington était propriétaire d’esclaves. Allons-nous retirer les statues de George Washington ? Où cela va-t-il s’arrêter ? Vous altérez l’histoire, vous altérez la culture », a déclaré mardi, devant une presse médusée, le président américain, Donald Trump, appelé à s’exprimer sur les évènements de Charlottesville, ville multiculturelle, devenue samedi dernier le théâtre d’affrontements violents entre néonazis armés (venus défiler contre la décision de cette ville de Virginie de déboulonner la statue du controversé général sudiste et esclavagiste Robert E. Lee) et contre-manifestants, parmi lesquels la jeune Heather Heyer, morte peu après, renversée par une voiture conduite par un suprémaciste blanc.

Évidemment, la bonne chose à faire pour Donald Trump aurait été, comme l’a fait dans la nuit de mardi à mercredi la courageuse maire noire de Baltimore, d’ordonner le retrait de toutes les statues d’esclavagistes, qui, contrairement à George Washington (rappelons-le), ne s’étaient pas repentis. En déclarant qu’il y a eu des torts «des deux côtés», Trump non seulement se positionne en défenseur de cette Amérique qui se veut profonde, mais également de ses symboles et donc de son bon droit de se sentir chez soi et de vomir ce que les États-Unis d’Amérique sont devenus.

Agissant de la sorte, il confirme ce que les statues de confédérés suggèrent tous les jours à des millions d’Afro-Américains, à savoir que rien n’est jamais acquis. Pour Walter Benjamin, il faut mesurer les victoires à leur valeur spirituelle profane et choisir dans l’histoire les évènements qui nous portent au lieu de la considérer comme une suite d’évènements «intéressants».

Or ces statues ne délivrent aucun Noir du sentiment oppressant de ne pas faire partie de l’histoire. Les retirer, de la même manière qu’interdire une chanson de pogrom à Vianden ou débaptiser une ruelle à Echternach qui porte le nom d’un pamphlétaire antisémite, est une manière de rendre l’espace public plus riche spirituellement, car moins exclusif, et d’aveugler le dragon de l’extrême droite, qui se retrouve sans repères dans un monde qui ne doit pas lui appartenir.

Frédéric Braun