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Au royaume du business

La «terre oubliée de Dieu», ainsi que la décrivent ses habitants, sera le centre du monde à partir de dimanche. Ou pas. Les appels au boycott se font chaque jour plus pressants, l’encre coule dans les journaux et les documentaires édifiants s’enchaînent sur nos écrans ces dernières semaines.

À quelques jours du coup d’envoi du «Mondial de la honte» au Qatar, l’indignation arrive bien tardivement, jugent nombre d’observateurs. Puisque l’on sait depuis 2010 que le petit émirat du golfe Persique a été choisi pour accueillir la compétition la plus populaire de la planète. D’aucuns regrettent également que la protestation n’ait pas fait autant de bruit en 2018, dans une Russie déjà infréquentable qui avait annexé la Crimée et rasé Alep, en soutien du boucher tout aussi infréquentable de Damas. Ou que les voix ne s’élèvent pas davantage contre l’attribution de la Coupe du monde aux Américains en 2026 (coorganisateurs avec le Canada et le Mexique), dont plusieurs États ont interdit l’accès à l’avortement, restreint les libertés des citoyens LGBT et pratiquent toujours la peine de mort.

Les droits humains, question éminemment centrale au Qatar. Au regard des milliers de travailleurs immigrés réduits en esclavage, logés dans des conditions indignes. Morts sur les chantiers des stades climatisés et des luxueux hôtels, et dont le décompte précis reste à ce jour «impossible», de l’aveu de l’Organisation internationale du travail. Une terre aride certes longtemps oubliée du Tout-Puissant, mais pas de la toute-puissance du sacro-saint argent roi. «Business is business» pour la pétromonarchie qui, si elle s’illustre plus dans les vestiaires que sur les terrains de foot, tire son épingle du jeu diplomatique et surtout économique, grâce à son gaz liquéfié aujourd’hui incontournable pour l’Occident. D’ailleurs, quand on leur demande, les petits Qatariens n’aspirent pas à devenir pompiers ou astronautes, mais «businessman». Comme papa, bien souvent.

Qui faut-il dès lors blâmer ? La FIFA, sans nul doute, qui a vendu son prestigieux trophée aux plus offrants durant des décennies de corruption institutionnalisée. Pour le reste, chacun peut décider de suivre les performances de son équipe nationale. Ou pas.

Alexandra Parachini