Henri Salvador le chantait mieux que personne, dès 1965 : «Les prisonniers du boulot ne font pas de vieux os». La ritournelle populaire – Le travail c’est la santé – résonne en chacun d’entre nous qui avons vu nos aînés s’esquinter les poumons au fond de la mine, se labourer le dos à travers champs. Se tuer à la chaîne et à la tâche, tout simplement. Effectivement, la plupart ne faisaient pas de vieux os au-delà de la cinquantaine.
Les temps ont changé, paraît-il. Sauf que les décideurs politiques actuels ne tiennent pas compte de la réalité. Le gouvernement français, exemple le plus criant ces dernières années, s’est refusé à admettre qu’avant d’imposer une réforme des retraites bureaucratique, dénuée de toute considération sociale et morale, il était plus que nécessaire de repenser la vie active. Faire table rase de conditions de moins en moins acceptables. Assainir des environnements de plus en plus toxiques. On ne serre pas la ceinture de quelqu’un dont le quotidien est déjà précaire.
Le travail ne vaut plus grand-chose. Ce n’était donc pas la santé, c’est aujourd’hui la ruine. À moins d’être à l’abri du besoin, on est bien obligé d’aller gagner sa croûte chaque matin. Quitte à accomplir sa laborieuse besogne sous la contrainte. Quitte à la laisser bouffer son temps libre pour se remplir le ventre. Beaucoup finissent ainsi par se résigner. Et peu osent tout plaquer. Par obligations, financières ou familiales, ou par seule peur de l’inconnu. Il serait malvenu de porter un jugement, chacun a ses raisons légitimes. Encore faut-il les entendre. Nul besoin de mener de vastes enquêtes pour mesurer le niveau du mal-être qui s’est installé dans tous les milieux professionnels. Y compris dans les métiers dits de vocation. Il suffit de faire un rapide sondage autour de soi. La crise de foi est partout. L’épanouissement, quasiment plus nulle part. Tout un monde au bout du rouleau. Au bout d’un système dont les limites sont largement dépassées.
Ceux qui ont franchi le Rubicon offrent des retours d’expérience généralement positifs. Si l’on retrouve du sens, l’envie reviendra. Comme le courage de briser ces chaînes de forçats modernes. De quoi soulager nos vieux os endoloris.
Alexandra Parachini