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A côté de l’essentiel

« Je suis Charlie » : ce fameux slogan de la manifestation du 11 janvier 2015, qui avait réuni plus de 4 millions de Français dans les rues à la suite des attaques jihadistes contre Charlie Hebdo et un supermarché casher parisien, semble un lointain souvenir. Et la presse française de s’interroger : mais qu’est devenu «l’esprit Charlie» ? Aujourd’hui, ses défenseurs autoproclamés le font au nom de deux principales causes : la défense de la laïcité et celle de la liberté d’expression. Malheureusement, cette défense sent parfois la récupération pleine d’arrière-pensées.

Pour la droite et l’extrême droite, c’est évidemment l’islam qui fait peser une terrible menace sur la laïcité. Pourtant, il n’existe aucun parti musulman en France, pas un seul élu ou politique de confession musulmane ne se présente en tant que tel. On ne voit donc pas très bien en quoi la République laïque serait attaquée. Ah mais si, bien sûr ! Les mamans voilées qui accompagnent leurs enfants lors des sorties scolaires, ça c’est une terrible menace qu’il faut absolument combattre ! À l’autre bout du spectre politique, à l’extrême gauche, ce sont les crèches dans les mairies qui provoquent l’hystérie, dans une totale confusion entre une pratique culturelle et une pratique cultuelle. Et le président qui se rend à l’église pour rendre hommage au plus populaire des chanteurs français, vous vous rendez compte !

Sur le dossier de la liberté d’expression, ce ne sont pas les musulmans mais bien les jihadistes fanatiques et violents qui sont à pointer du doigt. Et là, la solution est tristement très simple : une protection policière permanente. Aborder la défense de la liberté d’expression sous le seul angle de Charlie Hebdo fait passer à côté de l’essentiel. Car le plus grand danger qui pèse sur elle en France ne vient pas des fous d’Allah parfaitement identifiés; il est beaucoup moins spectaculaire et tape-à-l’œil. Il s’agit de l’effrayante concentration des médias dans les mains d’un petit club de milliardaires propriétaires de groupes industriels, une dérive totalement incompatible avec un véritable débat démocratique ouvert et pluraliste.

Nicolas Klein