Vous pensez que la charge d’Amazon ou eBay tue le petit commerce? Attendez le tsunami Wish. Cette nouvelle génération de sites d’e-commerce fait dans l’archi low cost. Mais les risques vont de pair…
Wish, c’est le grand bazar de la société de consommation.
On y trouve pratiquement de tout. Lingerie, gadgets, accessoires pour la cuisine, outillage de jardin, vendus à l’unité ou par paquet de 100… Rien de neuf, en apparence. Mais à la différence d’Amazon, eBay ou Cdiscount, qui ont déjà bien raboté les prix ces dernières années, Wish sort la tronçonneuse et offre des rabais de 30,50, 70 %… voire plus.
Comme nous avons même pu le tester, certains produits sont presque «gratuits» : par exemple, un jouet à la mode, le hand spinner, est envoyé moyennant l’unique paiement des frais de port (1 euro). Par rapport aux prix pratiqués dans nos magasins traditionnels, la comparaison ne fait souvent pas un pli.
Comment font-ils? Il suffit de regarder l’étiquette du colis. La plupart des produits sont expédiés directement d’Asie. Peter Szulczewski, fondateur de Wish en 2013 (lire par ailleurs), a en effet été bien inspiré en pariant sur la vente directe.
À la différence d’autres sites d’e-commerce qui stockent leurs produits dans de vastes entrepôts, Wish est conçu comme une place de marché dans laquelle les producteurs proposent directement leurs articles aux clients. Finies donc les coûteuses marges des intermédiaires (grossistes, distributeurs, détaillants…).
Prix hors TVA… qui n’est jamais payée
Et finies, aussi, les trois lettres majuscules qui font trembler commerçants et clients : les produits sont vendus hors TVA. C’est d’ailleurs affiché noir sur blanc sur l’écran lors de l’achat. Sauf qu’à aucun moment, ladite TVA n’est réclamée au client. Voilà donc autant d’argent qui semble échapper à notre chère administration des Contributions directes.
Du moins, si on ne se fait pas pincer par les douanes, comme en témoignent sur des forums certains acheteurs malchanceux, pris la main dans le sac!
Pour rassurer le client, qui ne sait pas vraiment à qui il achète, le site reprend le principe bien connu de notation des vendeurs. Une boutique ayant reçu beaucoup d’avis négatifs ne fait donc pas long feu, ce qui garantit une relative sécurité quant à la qualité des produits et du vendeur. D’autant que Wish a une politique généreuse. En cas de colis non reçu ou endommagé, un simple mail suffit généralement pour obtenir un produit de substitution.
Beaucoup d’utilisateurs estiment – et cela explique le succès du site – que la qualité des produits Wish ne diffère généralement pas de celle des produits achetés dans nos supermarchés et magasins habituels. Pour la simple raison que le made in China reste le made in China!
Pourtant, la sécurité reste relative pour une autre raison, plus grave.
Les produits étant expédiés par courrier directement de Chine, sans passer par le filtre des douanes et des organismes vérifiant la conformité des produits, il n’est pas exclu que certains ne répondent pas aux critères d’importation européens.
Danger sanitaire
Là encore, les forums fourmillent d’exemples de clients ayant reçu des produits non conformes aux normes sanitaires : présence de métaux lourds, jouets dangereux, colorants interdits dans l’UE… Donc acheter moins cher, oui, mais à ses risques et périls.
Autre particularité, Wish fait le pari de l’achat sur mobile. Si une version site web pour ordinateur existe, c’est bien la version mobile qui attire les utilisateurs.
Avoir l’application sur son smartphone assure une fidélisation plus grande que sur un site classique, d’autant que le site n’est pas accessible hors inscription. À l’instar d’un Facebook, tout est fait pour vous rendre addict. La sélection des produits est archi personnalisée : le site récupère un maximum d’informations sur vos centres d’intérêts et votre usage du site pour améliorer toujours plus sa liste de propositions et votre plaisir à naviguer. C’est le leitmotiv du site, inscrit dès le téléchargement : «Wish : acheter en s’amusant», peut-on lire sur l’Apple Store.
Mais plus vous faites défiler la liste infinie de produits, plus vous cliquez dessus, plus le site en apprend sur vos «souhaits» («wishes»). Une forme d’intrusion guère surprenante dans nos sociétés hyper connectées, mais la question de l’exploitation de ces informations reste pertinente.
Un danger pour le commerce?
Dernière question, et pas des moindres : on peut se demander quel sera l’impact à moyen et long termes de ce genre de site, qui marche directement sur les plates-bandes de nombreux commerces, au Luxembourg et ailleurs. Le consommateur est rationnel : s’il trouve une laisse pour son chien, une râpe à fromage, ou une clé USB 1 To à des prix défiants toute concurrence, avec une qualité qui ne diffère sensiblement pas, son choix sera dicté par son portefeuille.
L’essor de l’e-commerce depuis le début du siècle nous a enseigné que la révolution numérique apportait son lot d’évolutions et de régressions. Mais cette nouvelle forme de commerce se faisait au moins dans un cadre plus ou moins normé.
Le cas Wish apparaît sensiblement différent, puisqu’il emmène le consommateur dans un nouveau far west où la loi du moins cher autorise beaucoup d’excès, comme l’explique un expert de l’e-commerce (lire en page 3).
Les risques réels que cela fait porter sur les consommateurs, les finances publiques et le commerce devraient être autant de raisons de préoccuper le législateur et nos politiques…
Romain Van Dyck
Une pépite du web
Son nom est moins connu que Jeff Bezos (Amazon) ou Jack Ma (Alibaba)…
Mais Peter Szulczewski (photo) est à l’image de sa pépite Wish : un homme discret qui pèse des tonnes.
En 2011, cet ancien codeur de Google a créé, avec un ex de Yahoo!, une petite start-up d’e-commerce à San Francisco. Une société qui, en 2015, a été estimée à plus de 10 milliards de dollars, si l’on en croit les chiffres qui circulaient alors : Szulczewski aurait refusé à cette époque l’offre d’Amazon et d’Alibaba de vendre Wish à ce prix astronomique.
21e entrepreneur le plus riche en 2016
Depuis, le site a été valorisé à plus de 3 milliards. Toujours en 2015, selon les estimations de Business Insider, elle réalisait déjà des milliards de dollars de chiffre d’affaires, et ce principalement grâce au bouche à oreille, sans grande médiatisation ni publicité… Sinon une présence accrue sur le réseau Facebook, où elle dépensait en 2015 plus de 100 millions de dollars.
«Si nous voulons atteindre 1 000 milliards de dollars (en volume brut de ventes de marchandises), nous devons être agressifs», déclarait d’ailleurs Szulczewski. Qui, en 2016, a été classé 21e au palmarès Forbes des entrepreneurs américains les plus riches, avec une fortune estimée à 920 millions de dollars.
Désormais, la plateforme Wish comptabiliserait des millions de clients et plus de 100 000 vendeurs.
Voilà d’ailleurs ce qu’on peut lire sur la présentation de l’application : «Plus de 100 millions de personnes bénéficient des remises allant de 50 à 80 % sur des produits tendance, et bon marché, moins cher que dans un centre commercial. Recevez à votre porte des produits les plus populaires à des prix incroyables. Wish est l’application mobile numéro un en Amérique du Nord et en Europe qui vous permet de parcourir du bout des doigts des boutiques spécialisées en mode tendance, en accessoires et en produits électroniques.»
Vantardises? Une chose est sûre, Wish fait désormais partie des géants de l’e-commerce.
R. V. D.