Plus les conditions sont difficiles et plus le travail est compliqué : c’est à ce prix que les vignerons pourront finalement produire de beaux vins cette année. Depuis sa cave de Remich, Marc Desom nous l’explique.
Non, les vendangeurs ne sont pas gâtés. Eux comme les vignerons n’ont pas le choix : il faut bien faire avec ce que donne la nature. Chaque année, c’est la loi du métier. Même si, au contraire de nombreux vignobles voisins (Champagne, Bourgogne, Allemagne…), la Moselle avait échappé jusque-là à toutes les catastrophes climatiques (gel, grêle, inondations, sauf sur les vignobles de Rosport, le long de la Sûre, le 14 juillet), la grisaille du ciel a fini par déteindre sur le moral de beaucoup de producteurs.
Alors qu’un tracteur décharge des caisses de pinot gris récolté sur le terroir du Foulschette (Wellenstein) dans le hall de la cave de Marc Desom (caves et domaine Desom, à Remich), un autre attend dehors, une bâche déployée sur la remorque pour protéger les raisins de la pluie qui ne cesse de tomber (c’était mardi). «Si les grappes sont trop mouillées, l’eau de pluie va diluer le jus et on peut perdre comme ça jusqu’à 5° Oechsle (NDLR : l’unité de mesure de la teneur du sucre utilisée dans les pays germanophones)», relève le vigneron qui agit en cette période comme un chef de gare, guidant les viticulteurs pour indiquer où déposer la récolte. Trop de pluies, pas assez de soleil… les conditions météo historiquement inhabituelles et compliquées ont créé une problématique particulière : une grande disparité des maturités dans les vignes. «Sur une même parcelle, on peut avoir jusqu’à 10° Oechsle de différence, explique Marc Desom. Et sur les raisins d’un même cépage, vendangés la même journée, mais sur des parcelles différentes, cela peut monter jusqu’à 20° Oechsle. » Soit une différence de 2,5° d’alcool potentiel dans le vin, c’est énorme.»
«Il faut être intransigeant»
À l’arrivée des bacs, où les vendangeurs ont bien travaillé, puisqu’on ne distingue pratiquement pas de raisins touchés par la pourriture qui a une fâcheuse tendance à galoper en ce moment, une sonde mécanique vient plonger pour mesurer les caractéristiques des raisins. Les caisses sont ensuite entreposées le long du mur, à droite ou à gauche selon le résultat, en attendant de rejoindre les pressoirs qui sont déjà en action. «Chaque pressoir sera rempli avec des raisins aux caractéristiques similaires, explique Marc Desom. Je ne mélange pas des grains sucrés avec d’autres qui le sont moins. Cela me permettra d’obtenir des jus plus précis pour réaliser de meilleurs assemblages plus tard.»
Le vigneron souligne ainsi que les raisins récoltés du Foulschette, donc davantage exposés au soleil, seront pressés ensemble, à l’écart de ceux situés au fond du vallon, un secteur plus humide où les maturités sont moins élevées. Est-ce que tout cela induit que les vins seront de mauvaise qualité cette année? «Non! Vous voyez dans les bacs que les raisins qui arrivent sont sains, avance le vigneron. Il est tout à fait possible de produire des vins de qualité, mais, pour ça, il faut être intransigeant : les grappes trop marquées par la pourriture dans les vignes doivent rester dans la vigne et toutes celles qui portent quelques grains gâtés doivent être nettoyées. Cela demande beaucoup d’attention, cela coûte du temps et diminue les quantités, mais c’est absolument indispensable pour, finalement, offrir des vins propres et nets à nos clients l’année prochaine.»
Bien sûr, avec de telles circonstances, il ne va pas falloir s’attendre à ce que le millésime 2021 livre des crus aussi opulents qu’en 2018 ou 2020, où les taux de sucre ont crevé le plafond. Mais est-ce si grave? Les pinots gris titrant parfois jusqu’à 15° d’alcool (et même plus) de ces dernières années ne sont pas toujours des exemples d’équilibre et de digestibilité. Avec ces vendanges, il faut s’attendre à une production plus classique, des vins moins riches, mais, du coup, plus frais.
Les cépages traditionnellement plantés ici (surtout les blancs) sont adaptés aux conditions météo d’avant le réchauffement climatique. Si le riesling est présent depuis au moins 600 ans sur les bords de la Moselle, c’est bien qu’il y a une raison! Ce sera plus compliqué, par contre, pour les rouges, qui sont plus exigeants. Nombreux sont les domaines qui ont déjà tiré un trait sur cette couleur : Alice Hartmann, Henri Ruppert, Cep d’Or… À la place, ils produiront davantage de rosé et de vins de base pour les crémants. Le pinot noir est pratique : ses qualités se prêtent à toutes les vinifications, rien ne sera perdu!
Mardi, le ministre était dans les vignes
C’est une tradition, chaque année, le ministre de l’Agriculture et de la Viticulture vient dans la région de la Moselle pour jouer du sécateur et prendre le pouls du secteur. Il y rencontre tous les acteurs de la filière : les vignerons indépendants, les négociants et la coopérative. «Je suis heureux de partager ce moment privilégié au pic des vendanges avec nos vignerons et fier de savoir qu’en dépit d’une année difficile, le millésime 2021 s’annonce excellent», a ainsi déclaré Romain Schneider, résolument optimiste, qui a pu goûter les premiers Fiederwäissen, ces vins nouveaux en pleine fermentation qui sont désormais disponibles.
Erwan Nonet