Bernkastel-Kues, Traben-Trarbach, Cochem… Si on jouait au Monopoly, on se trouverait juste avant la case Départ! Voilà sûrement la partie de la Moselle la plus célèbre, et ça se comprend.
L’âme, de Piesport à Coblence
Autour de Bernkastel-Kues, les paysages sont simplement faramineux. Les vignes s’accrochent parfois sur des pentes quasiment à-pic de plus de 200 mètres de hauteur. Pour faire les vendanges, on jurerait qu’il faille présenter son brevet d’escalade! Les meilleurs vignobles produisent quelques-uns des meilleurs vins blancs du monde et cela ne date pas d’hier. Ces crus étaient extrêmement réputés dans le passé, vendu des sommes folles jusqu’en Angleterre au XIXe siècle. Si une série de mauvaises décisions prises au XXe siècle a coûté cher en termes de qualité (rendements trop élevés, notamment), ces vingt dernières années ont ramené la région à son plus haut niveau. C’est bien simple, les meilleurs rieslings du secteur sont aussi délicieux qu’onéreux (Dr Loosen, Joh. Jos Prüm, Markus Molitor…)! c’est dire s’il faut avoir le portefeuille bien garni pour se les offrir. En se rapprochant de la confluence avec le Rhin, à Coblence, le paysage change nettement. Après Zell, les vignes sont plantées sur des terrasses étroites qui ont donné son nom à cette dernière portion de la rivière : la Terrassenmosel.
Les incontournables
À l’image de celui de Calmont, à Bremm, dont les pentes sont tellement abruptes qu’on le traverse en suivant… une via ferrata, les vignobles sont spectaculaires ! Mais les villages ne sont pas mal non plus! Ils répondent tous aux canons typiques des mignons petits villages allemands où les maisons à colombages un poil tordues et plusieurs fois centenaires, aux fenêtres fleuries, s’alignent de la manière la plus élégante qui soit le long des rues pavées. Bernkastel est ainsi, tout comme Enzig, Pünderich, Beilstein ou Cochem. Quelque part, ces bourgs se ressemblent un peu tous mais comment se lasser de cette harmonie entre un cadre naturel époustouflant et ces localités plus que coquettes? À plus forte raison si l’on déguste en même temps un merveilleux riesling! Traben-Trarbach est un différent. Ici, ce n’est pas le caractère médiéval qui ressort mais un style Art nouveau omniprésent et archi-revendiqué. Il s’agit davantage d’une cité de négociants que de vignerons et, grâce à la qualité des vins locaux et à une demande nationale et surtout internationale incroyable, ces marchands ont fait fortune aux alentours de 1900. Pour donner une idée de l’importance du commerce ici, à la fin du XIXe siècle, Traben-Trarbach était le deuxième port mondial pour le transport du vin après… Bordeaux! Les marks-or s’accumulaient et rendaient possible les folies les plus luxueuses. Ainsi, l’architecte berlinois Bruno Möhring (une célébrité) a reçu la commande du fameux pont, dont il reste aujourd’hui la porte d’entrée devenue un des symboles de la ville. Ce pont théâtral a suscité l’envie des riches marchands qui lui ont ensuite fait construire quantité de villas, toutes plus audacieuses et joliment ostentatoires les unes que les autres. Enfin, comment ne pas évoquer Cochem et son spectaculaire château médiéval du Xe, très largement transformé en style néogothique au XIXe? Conquis, l’artiste William Turner (1775-1851) l’a peint sous toutes les coutures. Il n’est pas le seul à avoir aimé l’endroit : la métropole de la pêche de vigne est visitée par 1,5 million de personnes par an!
[…] Fleuve riche en coteaux que parfume Bacchus, fleuve tout verdoyant, aux rives gazonneuses : navigable comme l’océan, entraînée sur une douce pente comme une rivière, transparente comme le cristal d’un lac, ton onde en son cours imite le frémissement des ruisseaux, et donne un breuvage préférable aux fraîches eaux des fontaines […]
Le coin à découvrir
Un des vignobles stars de cette région qui en compte une palanquée, c’est le Bernkastel Doctor. Les premiers rieslings y ont été plantés en 1736, par les princes-électeurs de Trèves Phillipp Christoph von Soetern et Carl Casper von der Layen, propriétaires d’alors, au cours de travaux d’aménagement titanesques. Il faut dire que l’inclinaison des pentes gravitent toujours ici autour de 60 %! Comme tous les biens nationaux allemands, le Doctor a été mis en vente aux enchères en 1804 par l’administration française dans le cadre de la sécularisation. C’est finalement l’offre du maire de Bernkastel qui a été retenue. Doctor, voilà tout de même un drôle de nom pour un terroir. Une légende propose un récit bien sympathique! Au XIVe siècle, l’électeur de Trèves Boemund II tombe gravement malade alors qu’il se trouve au château de Landshut (près de Bernkastel). Tous les médecins des environs se relaient à son chevet, sans succès, à tel point qu’une récompense est promise à celui qui parviendrait à le guérir. Un chevalier âgé mais encore solide vivant dans un château pas très loin entendit l’appel et vint proposer sa solution. Lorsqu’il se sentait faible, ce chevalier prenait un verre de vin de Bernkastel grâce auquel il retrouvait toutes ses forces. Il fait goûter son meilleur tonneau à l’électeur et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Boemund II reprend du poil de la bête : il est guéri. Reconnaissant envers ce médicament particulièrement plaisait, il lui donna le nom de Doctor!
Erwan Nonet