Ici, le poids de l’histoire est indissociable des vins et des paysages où ils naissent. Déguster les crus des meilleurs terroirs revient à se mettre à la table de nos prédécesseurs, il y a près de 2 000 ans.
L’âme, de Wasserliesch à Piesport
Ce sont les Romains qui, du fait de leurs conquêtes (Ier siècle av. J.-C.) puis de l’installation de la cour impériale à Trèves (à partir du IIIe siècle ap. J.-C.), ont provoqué la naissance de la viticulture le long de la rivière. Les nouveaux venus avaient soif, mais pas de n’importe quoi : il leur fallait des quantités de vins pour contenter les soldats, leurs citoyens et la population locale en cours de romanisation. Plutôt que d’importer des amphores ou des tonneaux (invention gauloise, soit dit en passant) depuis la Méditerranée, autant en produire sur place : cela coûtera moins cher, même s’il faudra s’habituer à de nouveaux goûts. Quoique, de toute façon, on ne buvait jamais le vin pur, à l’époque. On l’arrangeait avec du miel, des épices, de l’eau… voire de l’eau de mer! Mais finalement, si l’on n’avait jamais planté la vigne aussi au nord, il s’est avéré que cela marchait pas mal du tout! Le sol marqué par l’ardoise en décomposition mêlée à l’argile se montrait en fait excellent, particulièrement sur les versants exposés vers le sud. Les pentes, très fortes, et la hauteur des rives (jusqu’à 200 mètres au-dessus de l’eau) qui garantissaient une excellente exposition au soleil révélaient de magnifiques terroirs. À l’issue de ce premier âge du vin, Charlemagne en lance un autre en créant, toujours à Trèves, un archevêché au VIIIe siècle. Et on sait à quel point les moines peuvent être maîtres en la matière (Bourgogne, Champagne…)! Encore plus tard, autour du XIVe siècle, on y plante les premiers rieslings, qui deviendront le cépage mosellan par excellence et seront adoubés dans le monde entier. Sa merveilleuse adaptation aux conditions locales convainc les vignerons et il devient majoritaire au XVIIe. L’ancienneté d’une production de vins de la plus haute qualité se lit aujourd’hui dans les paysages où les vignes qui s’accrochent aux coteaux dominent des villages au sein desquels les maisons en pierre et colombages ont, elles aussi, ancré leurs racines profondément dans le sol. Maintenant que l’été se termine et que les touristes se font moins nombreux, le moment est idéal pour les découvrir!
Les incontournables
Trèves, évidemment! L’archéologie (plus particulièrement l’étude des troncs d’arbres qui ont permis la construction du premier pont) a démontré que la plus ancienne ville d’Allemagne, alors baptisée Augusta Treverorum, a été fondée vers 18-17 av. J.-C. Rapidement, la cité prospère. Le Römerbrücke, premier pont en pierre traversant la Moselle, est construit en 144 et existe toujours. Tout comme la Porta Nigra, une porte de la grande enceinte bâtie en 160. Aux IIe et IIIe siècles, Trèves est florissante. Plusieurs empereurs y résident (Constantin, Valentinien…), provoquant un nouvel essor architectural dont beaucoup sont toujours à admirer : la basilique (qui était la salle du trône impérial), les bains impériaux (jamais achevés, devenus caserne)… Mais retournons dans les vignes en suivant le fil de l’eau. La succession de villages charmants appelle à la flânerie. À Longuich (Longus vicus, en latin, le village long), on découvre une villa romaine luxueuse, un château médiéval et, au pied, des maisons vigneronnes. Les rappels d’un passé millénaire sont tout aussi nombreux à Neumagen-Dhron, plus vieux village viticole d’Allemagne. À l’Antiquité, on trouvait ici une place forte et un port. La réplique d’une statue romaine (en fait issue d’une sépulture) exposée au cœur du village illustre cette activité marchande : on y voit un navire et ses rameurs qui transportent des fûts de vin. Ce bateau a même été reconstruit et l’on peut naviguer sur le Stella Noviomagi! Enfin, un peu plus loin, découvrons Piesport, indubitablement fréquenté par les vignerons il y a près de 2 000 ans, puisqu’on y a retrouvé le plus grand pressoir romain au nord des Alpes. Il a été restauré, est fonctionnel.
Le coin à découvrir
Il existe un lieu un peu hors du temps, à Trèves. On le trouve au domaine viticole Vereinigte Hospitien, une institution à vocation sociale (soins aux personnes âgées et aux malades) fondée par décret par Napoléon en 1804 qui se finance en partie avec les recettes tirées de la vente de ses vins produit sur 25 hectares, entre la Moselle et la Sarre, un peu à l’image des Hospices de Beaune en Bourgogne. Il faut aller au sous-sol pour le découvrir, puisque cette cave splendide est la plus ancienne d’Allemande. Si les solides voûtes ont été montées au VIIe siècle, les murs en gros appareils sur 8 mètres de haut et le sol en briques sont bien romains. Un livre de comptes du domaine témoigne, lui, de la culture du riesling en 1464.
[…] Fleuve riche en coteaux que parfume Bacchus, fleuve tout verdoyant, aux rives gazonneuses : navigable comme l’océan, entraînée sur une douce pente comme une rivière, transparente comme le cristal d’un lac, ton onde en son cours imite le frémissement des ruisseaux, et donne un breuvage préférable aux fraîches eaux des fontaines […].
Erwan Nonet