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Vin : pour Gérard Lopez, « la qualité ne suffit plus »


Le businessman Gérard Lopez, repreneur de l'OM ? (photo LQ / Fabrizio Pizzolante)

Trop frileux avec les nouvelles technologies, les vignerons ? C’est ce que pense Gérard Lopez, qui en connaît un rayon sur la question. Il appelle donc les producteurs de vin à s’activer sur la Toile, sous peine de grosses désillusions à venir.

Gérard Lopez sait de quoi il parle lorsqu’il évoque les stratégies d’investissement et de vente. Alors lorsque l’homme qui a fait fortune en ayant senti le potentiel de Skype et en le revendant à prix d’or à eBay évoque la question au pupitre, forcément, il est écouté.

D’autant que ce qu’il avait à dire équivalait à donner un grand coup de pied dans la fourmilière. Ce même jour, le 15 avril dernier, le directeur de la coopérative Vinsmoselle, Patrick Berg – à l’origine de la venue de Gérard Lopez – expliquait au Quotidien : «Les temps ne sont pas faciles, on peut d’ailleurs trouver quelques parallèles avec 1966, notamment dans un déséquilibre entre la production et la demande.» Sûr qu’il a pris des notes.

Au cours de son intervention intitulée «Vin et technologie», le directeur de Genii Capital et ancien président de l’écurie Lotus F1 s’est surtout penché sur le gouffre qui, selon lui, sépare les producteurs de leurs clients. «Si produire du vin est un métier de longue tradition, les nouveaux consommateurs – eux – ne vivent plus dans ce monde-là», a-t-il lancé. Ce que veut dire par là Gérard Lopez, c’est que la nouvelle génération d’acheteurs est en train de casser littéralement les règles habituelles de la sacro-sainte relation producteurs-consommateurs. Et il faudra bien approcher ces nouveaux clients avec leurs propres codes, car «les millenials – ceux qui sont nés entre 1980 et 2000 – sont le plus grand groupe de consommateurs de l’histoire». Hyperconnectés, ils sont aussi très versatiles et ne sont plus attachés à une marque ou un produit comme pouvaient l’être leurs parents. Par rapport à eux, «le monde du vin est très en retard».

Une toute petite présence sur internet

Sans doute que l’élément le plus marquant de cette distanciation est la toute petite présence du vin sur la Toile. Les réseaux sociaux, notamment, sont pratiquement une terra incognita. Et lorsque les domaines sont présents, ils y font le plus souvent de la figuration.

L’e-commerce est également balbutiant, «seuls 2 % de la vente d’aliments sur internet concernent le vin, avance Gérard Lopez. Or il n’est pas plus difficile de vendre des bouteilles que des meubles sur le net !» À l’heure actuelle, moins de 5% des ventes de vin se font sur le web, une portion qui ne restera pourtant pas congrue bien longtemps, «on s’attend à ce que ce chiffre montre vite à 30%», assure-t-il.

Pourquoi les ventes de vin mettent-elles tant de temps à décoller sur internet ? Parce que jusque-là, la filière a largement ignoré ces nouveaux clients, estime Gérard Lopez. Une grave erreur, selon lui, parce que cette nouvelle génération n’hésitera pas à aller voir ailleurs : «Pour les millenials, le vin n’est plus un produit de consommation absolument nécessaire.» Pour voir les jeunes consommateurs dépenser leur argent, il va donc d’abord falloir les convaincre. «Mais la qualité ne suffit plus, les clients veulent plus», assène-t-il. Iconoclaste, il cite pour illustrer son propos la stratégie de Coca-Cola : «Quand on achète la bouteille avec son prénom inscrit sur l’étiquette, ce n’est pas pour le contenu, mais pour le contenant. Ce que l’on veut, c’est une gratification instantanée.»

«La transparence joue un grand rôle»

Sans promouvoir ce jusqu’au-boutisme où l’on frôle de très près la négation du produit, Gérard Lopez souligne à quel point il faudra que les producteurs soient malins pour parvenir à leurs fins. Une nécessité parce que ces nouveaux consommateurs sont éveillés, «ils sont diplômés et voyagent beaucoup». En conséquence de quoi, ce sont souvent des clients avisés. «Il s’agit de la première génération qui dispose d’un filtre permettant de ne plus voir les publicités.»

Plutôt que d’être attirées par de belles pubs, ces personnes-là préfèrent se renseigner directement chez leurs congénères et scrutent les avis des consommateurs sur les sites marchands. «Ils ont tous les outils qui permettent de choisir (NDLR : smartphones, tablettes…) entre les mains et, chez eux, la transparence joue un grand rôle», affirme Gérard Lopez. En conclusion, le businessman a martelé qu’internet devait être un instrument de marketing essentiel, «notamment pour les petits producteurs». Il a incité les vignerons à se pencher sur la commercialisation de «ce produit noble qu’est le vin en le faisant connaître de manière différente, car les acheteurs l’achèteront de plus en plus de manière différente».

Si la tradition et l’authenticité resteront des valeurs essentielles au moment du choix, le vin ne peut pas se permettre de ne s’appuyer que sur ces deux piliers. Sans davantage de modernité et d’innovation, il se fera doubler par une concurrence certes moins portée sur la qualité, mais bien plus inventive.

Erwan Nonet