Richard Geoffroy a façonné les cuvées de Dom Pérignon pendant 28 ans et, une fois à la retraite, il s’est lancé dans un projet fou : créer le premier saké d’assemblage. IWA 5 vient d’arriver au Luxembourg.
Cet homme est un joaillier. Richard Geoffroy explique associer chaque goût à une couleur. Chaque champagne qu’il a créé et, désormais, chaque saké forment donc une palette patiemment composée. Il y a de l’art, puisque l’instinct et l’imagination sont indispensables, mais également beaucoup de travail, de persévérance et de remise en question avant de parvenir, enfin, à tout mettre en place pour atteindre le pinacle. Lorsque le travail disparaît derrière la perfection, il sait qu’il a réussi.
Avec son saké IWA 5, dont la deuxième mouture est aujourd’hui distribuée, Richard Geoffroy démontre que ce qu’il savait faire en Champagne, il sait aussi le faire au Japon. La précision et l’équilibre de son saké sont impressionnants, sa longueur en bouche sidérante. IWA 5 est dense sans être jamais lourd. Sa matière si riche permet toutes les audaces. À table, il s’accorde avec tout : poissons, viandes, légumes, desserts… Richard Geoffroy s’en amuse : «J’aime lorsque les chefs le pousse dans ses retranchements, qu’ils n’aient pas de limites pour l’associer.» Il est ravi lorsque Julien Lucas (La Villa de Camille et Julien, à Pulvermühl) lui annonce qu’il a hâte de le tester avec son lièvre à la royale, un accord a priori improbable, mais qui lui fait monter l’eau à la bouche. En tant qu’ancien de Dom Pérignon, Richard Geoffroy a ses entrées partout et son saké est déjà servi sur les tables d’Anne-Sophie Pic (qui vient de citer IWA 5 parmi ses cinq cuvées coups de cœur pour Le Figaro), Arnaud Lallement, Alain Ducasse… Au Luxembourg, les excellents Ryôdô et Léa Linster ne s’y sont pas trompés.
Son rapport au Japon
Richard Geoffroy : «J’ai développé une relation particulière avec ce pays, puisque j’y ai porté la bonne parole de Dom Pérignon pendant longtemps. Or beaucoup de Japonais ont découvert le champagne à travers Dom Pérignon. Vu d’ici, cela paraît un peu surprenant, mais dans les années 1970 et 1980, c’était quasiment le seul champagne disponible là-bas. Même si je ne souhaite pas y vivre, je ne pourrais jamais me lasser de ce pays si passionnant. Il est facile de se perdre dans les méandres de cette culture et je soupçonne même les Japonais de trouver un malin plaisir à nous y laisser pour, un peu plus tard, venir nous récupérer… Ça fait partie du jeu!»
Le saké, icône malmenée
«Les Japonais appellent le saké « nihonshu », ce qui signifie littéralement « alcool du Japon ». C’est dire son importance culturelle. Jusqu’aux années 1920, 80% de l’alcool bu là-bas était du saké. Il est aujourd’hui minoritaire, sa part de marché étant attaquée par le vin et la bière, mais son identité demeure. Il est un élément constitutif du Japon. Ce désintérêt a été causé par un certain égarement des producteurs, qui sont un peu tombés dans la facilité, produisant des sakés sans grand intérêt. Mais depuis quelque temps, ça repart par le haut, notamment grâce à de jeunes entrepreneurs qui veulent lui redonner ses lettres de noblesse. Il existe un potentiel de développement considérable, notamment à l’international. J’espère contribuer moi aussi à ce soft power. Cela manque d’humilité, mais c’est mon but!»
Une aventure humaine
«Ce défi représente une grosse prise de risque. Il a fallu tout construire de zéro : acheter la propriété, les rizières, construire les infrastructures, bâtir l’équipe, créer la marque, développer le réseau de distribution… Je ne me serais jamais lancé si je n’avais pas trouvé les bons partenaires. Nous avons construit la brasserie à Shiraiwa (d’où le nom IWA), situé dans la ville de Tateyama (préfecture de Toyama). Non pas pour le terroir, qui n’existe pas (ou pas encore) pour la culture du riz, mais pour l’élément humain : c’est le lieu d’origine du brasseur, Ruyichiro Masuda. Nous sommes situés sur la côte ouest du Japon, la plus rurale. Ce Japon est méconnu, bien plus connecté à la nature qu’à l’est. La cave a été dessinée par Kengo Kuma, l’architecte du stade olympique de Tokyo. La bouteille, elle, a été créée par le designer australien Marc Newson. Il était essentiel pour moi d’être entouré par des hommes de progrès et d’ouverture. J’ai la chance d’être un assembleur, ce qui marche avec les vins semble aussi fonctionner avec les humains !»
Son saké, IWA 5
«Chez Dom Pérignon, j’étais celui qui décidait la composition des assemblages. Je recherchais le parfait équilibre entre complexité et richesse, dans les superlatifs, mais sans excès. C’est ce que je fais désormais avec IWA 5 et c’est complètement nouveau. Personne n’avait jamais fait un saké d’assemblage. Je manie différents riz et plusieurs levures pour jouer, trouver l’harmonie entre les compléments et les opposés. Tout compte pour parvenir à l’optimum de dégustation. Il faut expérimenter encore et encore, essayer et se tromper, recommencer. IWA sera toujours un saké expérimental. Chaque bouteille porte le numéro de son assemblage, j’en réalise un par an et nous en sommes au n° 2. Celui-ci a été compliqué à réaliser, puisqu’à cause de la crise, je n’ai pas pu me rendre au Japon. On m’a envoyé les 40 échantillons chez moi, en Champagne, et j’ai goûté tout seul dans ma cuisine… Ça a été très long, très difficile… Déguster en étant hors contexte est une épreuve, mais j’y suis parvenu !»
De notre collaborateur Erwan Nonet
Le maître des assemblages
Richard Geoffroy est une des icônes de la Champagne contemporaine. Fils de vigneron, il a étudié la médecine un peu par provocation avant, finalement, de renouer avec l’ADN familial. Mais pas question de suivre la voie classique en reprenant le domaine familial, il préfère traverser l’Atlantique pour apprendre le métier dans la Napa Valley, déjà dans le giron de Moët et Chandon. Les États-Unis sortent alors du Vietnam et, en Californie, il découvre «une forme d’ouverture au monde, une grande liberté. Mes débuts ont été assez rock’n’roll, mais c’est là que j’ai fait mes gammes», expliquait-il au Parisien en 2018.
Après de nouvelles expériences dans le même groupe en Australie et en Argentine, il est choisi en 1990 pour diriger les caves de Dom Pérignon, fleuron du groupe LVMH. Il restera 28 ans à l’abbaye d’Hautvillers, une période au cours de laquelle il transforme la marque en un mythe mondial. Très à l’aise avec les mots, il joue de cette aisance pour représenter Dom Pérignon avec éloquence, clarté et ce qu’il faut d’humour pour charmer son public. Mais tout cela ne serait que du vent sans sa science de l’assemblage, un art dont il est un maître reconnu par tous.
«Quand le Michael Jordan du champagne vous appelle…»
IWA 5 est distribué au Luxembourg par Craft et Compagnie, une jeune société fondée par Sébastien et Agnès Rouillaux en 2017, désormais basée à Bertrange. Son credo ? La mise en avant de champagnes d’exception, élaborés par les meilleurs vignerons indépendants de l’appellation. «Le saké, normalement, ce n’est pas notre gamme, sourit le Champenois Sébastien Rouillaux. Mais lorsque le Michael Jordan du champagne vous appelle…»
Ils sont amis de longue date, c’est donc naturellement que la connexion s’est créée pour diffuser IWA 5 au Luxembourg (125 euros la bouteille). «Nous ne proposerons pas d’autres sakés que celui de Richard, notre spécialité restera les champagnes d’auteur, précise-t-il. Agnès et moi avons tellement de respect pour Richard et la qualité incroyable de son travail que c’est pour nous un véritable honneur d’être son ambassadeur au Luxembourg.»