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Un vent de panique venu de Suisse


En abandonnant le taux plancher de son franc, la Suisse a provoqué hier une subite appréciation de 30% de sa monnaie et a fait souffler un vent de panique financier.

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Avec un taux particulièrement avantageux vis-à-vis de la monnaie unique, les files d’attente se sont multipliées, hier, en Suisse, devant les bureaux de change pour obtenir des euros à la place de francs suisses. (Photo : AFP)

Dans un communiqué laconique publié hier matin, la Banque nationale suisse (BNS), en charge de la politique monétaire du pays, a annoncé que le taux plancher du franc suisse, fixé il y a trois ans à 1,20 franc suisse pour un euro, était abandonné. Autre annonce : les taux négatifs appliqués aux gros dépôts en francs suisses pour décourager les spéculateurs étaient alourdis.

Aussitôt, le franc suisse s’est apprécié de près de 30 % par rapport à l’euro ou au dollar.

À Londres, le franc suisse s’échangeait à 11h (heure luxembourgeoise) à 0,85 franc pour un euro, au lieu de 1,20 franc pour un euro avant l’annonce de la BNS. Vers 13h30, il retombait à 1,03 franc pour un euro.

La Bourse suisse a aussitôt fait un énorme plongeon. Beaucoup d’entreprises suisses cotées en Bourse, sont fortement exportatrices, et la décision de la BNS renchérit le coût de leurs produits à l’étranger.

> Files d’attente et bonheur des frontaliers

À 14h, la Bourse suisse perdait – 9,34 % avec un indice SMI des 20 valeurs vedettes affichant 8 339,11 points. Les plus fortes baisses sont affichées par les valeurs du luxe, telles que Swatch (Breguet, Longines, Tissot) ou Richemont (Cartier, Van Cleef…), dont les produits s’arrachent à l’étranger.

Ces sociétés ont vu leurs actions reculer respectivement de 15,91 % et de 14,99 %. En effet, du fait de la hausse du franc suisse, leurs produits sont devenus plus chers de 20 à 30 % pour les étrangers, qui risquent de s’en détourner.

Les Suisses se sont en revanche réjouis de cette mesure. Comme cette quadragénaire qui exhibe fièrement son reçu bancaire, montrant qu’elle a reçu plus de 300 euros en échange de 300 francs suisses quand elle s’est précipitée dans sa banque à Genève, pour changer des francs pour des euros.

« J’ai gagné 60 francs suisses en une seconde », a-t-elle déclaré. Pour obtenir ces mêmes 300 euros, elle aurait dû débourser la veille 360 francs suisses.

De nombreux Suisses vont faire leurs courses chaque semaine dans les hypermarchés français : ils vont économiser ainsi plus de 20 % sur leurs dépenses outre-frontières hebdomadaires.

Les dizaines de milliers de frontaliers français, italiens ou allemands qui traversent chaque jour la frontière pour travailler en Suisse, sont les autres grands gagnants indirects de l’opération. En un instant, leur revenu mensuel a progressé de 30 %. «Pourvu que ce taux de change tienne jusqu’à la fin du mois, quand je serai payée», a déclaré une Française travaillant à Genève.

Cette décision a pris de court les marchés financiers, surprenant fortement les investisseurs dans la mesure où la BNS avait encore réaffirmé ces derniers jours qu’elle n’abandonnerait pas le taux plancher.

> Vent de panique en Pologne

« La Banque nationale suisse a choqué les investisseurs », a réagi Connor Campbell, analyste chez Spreadex, dans une note, relevant que la réaction immédiate avait été « explosive ». « Le marché ne l’avait clairement pas vu venir », a commenté pour sa part Andreas Ruhlmann, analyste chez IG Bank, évoquant un changement drastique de politique monétaire.

La mesure a eu aussi des répercussions directes à l’étranger, notamment dans les pays de l’Est, où de nombreux particuliers ont contracté un prêt immobilier en francs suisses pour financer l’achat de leur bien, à un moment où cela était très avantageux, au début des années 2000.

Ainsi, un vent de panique a soufflé en Pologne où quelque 700 000 ménages détiennent des crédits immobiliers libellés en francs suisses, avec un zloty décrochant de près de 20 % face au CHF.

« Que faire, je ne peux que subir », admet, philosophe, Roman Kwiatkowski, un psychothérapeute de Cracovie. « J’ai pris ce crédit parce qu’il était bien plus intéressant que les crédits en zlotys. Je savais qu’il y avait un risque. Je ne saurais jamais calculer si finalement j’y ai perdu ou gagné. Mon remboursement mensuel passera de 1 000 zlotys (230 euros) à 1 200 zlotys (280). Par rapport à mes revenus, ce n’est pas une catastrophe. »

Autre pays où l’engouement pour les emprunts en francs suisses a été fort au début des années 2000, la Croatie : l’association Franak, représentant des emprunteurs de crédits libellés en francs suisses, a demandé une réunion d’urgence avec le gouvernement, mettant en garde hier contre une « catastrophe ».

A contrario, en Autriche, les autorités monétaires se sont félicitées que Vienne ait interdit en 2008 les nouveaux emprunts en devises étrangères.

Le Quotidien/AFP