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Un chauffeur Uber reconnu comme salarié par la justice : quelles implications ?


La décision de la Cour de cassation fera-t-elle jurisprudence ? (Photo : AFP)

La Cour de cassation a reconnu mercredi l’existence d’un lien de subordination entre la plateforme Uber et un de ses anciens chauffeurs, jugeant que le statut d’indépendant du conducteur était « fictif » et qu’il devait être considéré comme salarié. Retour sur les implications de cette décision historique.

La Cour de cassation n’a pas lésiné sur les moyens pour expliquer sa décision, allant jusqu’à publier des communiqués en anglais et en espagnol, signe du poids qu’elle entend donner à son arrêt. Elle y liste les éléments établissant un lien de subordination. « Le chauffeur qui a recours à l’application Uber ne se constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas librement ses tarifs et ne détermine pas les conditions d’exécution de sa prestation de transport », énumère-t-elle. La Cour balaie aussi l’argumentaire de la plateforme américaine en estimant que « le fait que le chauffeur n’ait pas l’obligation de se connecter (…) n’entre pas en compte ». Cette décision « n’est pas une bonne chose mais c’est une décision fondée sur un seul chauffeur, qui n’est pas sur notre plateforme, et je ne pense pas que cela crée un précédent », a tenté de relativiser Dara Khosrowshahie, le patron d’Uber.

La ministre du Travail Muriel Pénicaud évoque pourtant une « jurisprudence », comme de nombreux experts. « Il n’y a plus d’hésitations sur le fait que la jurisprudence est fixée pour les années à venir et que tous les dossiers vont être traités par les tribunaux de la même manière », assure l’avocat Jean-Paul Teissonnière, qui représente plus de 60 chauffeurs VTC souhaitant voir leur contrat commercial requalifié en contrat de travail. À n’en pas douter, selon Me Teissonnière. « Toute une série de dossiers plus ou moins en attente vont se débloquer » après cette décision et « les contentieux devraient se multiplier », pronostique l’avocat. « Requalifier veut dire revenir sur le passé, demander des rappels de salaires, des remboursements de frais comme l’achat de voitures par les chauffeurs » et puisque la Cour parle de statut « fictif » d’indépendant, « des dommages et intérêts pour travail dissimulé », estime-t-il. La requalification « va devenir une formalité », veut croire Jérôme Pimot, porte-parole du collectif de livreurs à vélo parisiens Clap. L’arrêt de la Cour de cassation « n’entraîne pas une requalification immédiate ou automatique de tous les chauffeurs utilisant notre application », souligne Uber.

Une série de requalifications ?

S’il est peu probable que ses 30 000 chauffeurs actuels demandent tous à être reconnus comme salariés, certains étant attachés à leur statut d’indépendant, une série de requalifications pourrait néanmoins lui coûter cher. Début février, la plateforme de livraison de repas Deliveroo a été condamnée, pour travail dissimulé, à verser 30 000 euros à un de ses anciens coursiers. La Fédération nationale des auto-entrepreneurs estime que donner un statut de salarié aux auto-entrepreneurs avec lesquelles elles travaillent augmenterait les coûts d’environ 40% pour les plateformes. Alors qu’une mission sur la représentation des travailleurs des plateformes numériques de services est en cours, Mme Pénicaud a annoncé par surprise jeudi le lancement d’une autre mission, chargée de faire des « propositions d’ici l’été » sur leur statut. « La grande majorité des travailleurs des plateformes veulent être indépendants, veulent la liberté mais veulent à juste titre aussi avoir des protections », affirme la ministre, appelant à « inventer des règles qui permettent la liberté et la protection (…) tout en donnant un cadre qui est clair pour les plateformes ».

Cette idée de troisième voie compte parmi ses soutiens Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, pour qui « il faut probablement imaginer pour ces plateformes très directives (…) un système un peu hybride entre l’indépendant et le salarié, avec paiement d’une forme de contribution à la protection sociale ». Un avis loin d’être partagé par l’Union des entreprises de proximité (U2P) qui juge « absurde » l’idée « portée par certains de créer de nouvelles règles, voire un troisième statut ». Plusieurs syndicats sont également montés au créneau pour défendre le salariat. Jérôme Pimot, du Clap, redoute que le gouvernement, « pour sauver le soldat Uber », crée « un troisième statut qui permette aux plateformes d’avoir non plus une mais deux frontières floues sur lesquelles jouer, entre le salariat, le nouveau statut et le statut d’indépendant ».

LQ/AFP