La France et l’Allemagne ont durci leurs positions sur la délicate réforme des règles européennes concernant le travail détaché, au risque de braquer les pays de l’est, lors d’une réunion des 28 de l’UE jeudi à Luxembourg.
« J’ai eu l’occasion de parler avec ma collègue française la semaine dernière et on va dire aujourd’hui ensemble qu’il faut des améliorations », a déclaré la ministre allemande du Travail, Andrea Nahles, en arrivant à cette réunion.
Depuis son arrivée à l’Elysée, le président, Emmanuel Macron, s’est montré déterminé à batailler dur sur ce dossier. Le 31 mai, il avait prévenu: l’accord « qui devait être conclu le 15 juin » entre les 28 ministres du Travail de l’UE à Luxembourg « sera décalé pour que nous puissions construire une vraie refondation de cette directive européenne du travail détaché », préconisant notamment de meilleurs contrôles.
Encadré par une directive européenne datant de 1996, le détachement permet à une entreprise de l’UE d’envoyer temporairement en mission dans d’autres pays de l’Union ses salariés en payant les cotisations sociales dans le pays d’origine. Or ce système est accusé d’encourager le « dumping social » entre entreprises.
En mars 2016, la Commission européenne avait par conséquent proposé de réformer les règles, jugées d’autant plus obsolètes qu’elles avaient été formulées huit ans avant l’élargissement à l’est de l’UE de 2004.
Cette proposition de révision a dès le départ rencontré une forte résistance de 10 pays est-européens.
Le nouveau projet de l’exécutif européen prévoit d’aligner les rémunérations des travailleurs détachés – souvent employés dans le bâtiment, les abattoirs et les travaux agricoles – sur ceux de la main-d’oeuvre locale.
Alors que la directive de 1996 obligeait simplement les employeurs à leur verser le salaire minimum du pays où ils exercent, le texte de 2016 stipule qu’ils doivent bénéficier des mêmes avantages que leurs collègues du pays d’accueil, tels que le 13e mois, les primes de Noël, etc.
La Commission prévoit aussi de limiter à deux ans leurs missions.
Mais, pour la France et l’Allemagne, ce projet ne va pas assez loin. Paris plaide désormais pour limiter le détachement à un an. « Je vais soutenir cette proposition aujourd’hui », a dit Mme Nahles, questionnée précisément sur la réduction de la durée du détachement.
Paris veut également voir clairement affirmer que les nouvelles règles s’appliqueront au transport, et notamment au transport routier.
Elle soutient aussi les propositions de Malte (qui assure la présidence de l’UE jusqu’à fin juin) de préciser que les frais de logement, nourriture et transport ne soient pas inclus dans la rémunération, afin d’éviter la pratique abusive de certains patrons de déduire ces dépenses de la paye de leurs salariés.
Désormais, la perspective d’un accord entre les 28 ministres du Travail de l’UE est donc reportée à leur prochaine réunion, prévue le 23 octobre. « Il y a de nouvelles propositions sur la table et il faut donc en parler. J’ai néanmoins confiance de trouver une majorité dans les mois qui viennent et d’avoir un accord à l’automne », a déclaré la commissaire européenne Marianne Thyssen, chargée de l’Emploi, en arrivant à Luxembourg.
« C’est dommage que nous ne puissions pas avoir un accord aujourd’hui. Pour la Belgique (3e pays d’accueil des travailleurs détachés, ndlr), c’est très important d’avoir un compromis. Je suis là pour modérer le débat », a déclaré le ministre belge du Travail, Kris Peeters.
Il a dit craindre une « situation explosive » vis-à-vis des pays de l’est après le durcissement des positions françaises. Or les 27 de l’UE ont besoin d’être unis à l’approche du début des négociations sur le Brexit avec le Royaume Uni.
En parallèle au conseil des ministres européens, la réforme de cette directive est discutée au Parlement européen. Pour être adoptée, avec d’éventuels amendements, elle devra recevoir le feu vert de ces deux institutions.
Le Quotidien / AFP