Les 137 pays négociant sous l’égide de l’OCDE ont échoué à trouver un accord pour que les grandes entreprises du numérique « paient leur juste part d’impôt », au risque de relancer la « guerre commerciale » en pleine pandémie.
« Le verre est à moitié plein : le paquet est presque prêt mais il manque un accord politique », a reconnu ce lundi Pascal Saint-Amans, le responsable de la politique fiscale de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques. Si l’OCDE est confiante d’aboutir d’ici la mi-2021, son secrétaire général Angel Gurria a prédit, en cas d’échec définitif, « une multiplication des actions unilatérales, des mesures de représailles », et in fine, une nouvelle « guerre commerciale ».
Alors que ces nouvelles règles fiscales, en plus de pacifier les relations économiques internationales, pourraient rapporter 200 milliards de dollars par an, bienvenus alors que la pandémie a « creusé les déficits » publics, a fait valoir Angel Gurria lors d’une conférence de presse. En face, les géants du numérique ont « tiré profit » de la numérisation de l’économie, accélérée par les diverses mesures de confinement dans le monde.
En attendant, les 137 pays participant aux négociations ont défini le cadre global de cette réforme. Objectif: que « les grandes entreprises rentables exerçant une activité internationale paient leur juste part d’impôt dans la juridiction où elles réalisent des bénéfices », et pas seulement, comme c’est le cas jusqu’à présent, dans le pays où elles ont leur « établissement stable ». À titre d’exemple, Facebook a réalisé un chiffre d’affaires de près de 70 milliards de dollars en 2019, mais a payé 8,46 millions d’euros d’impôt sur les sociétés en France en 2019. Une partie infime des 6,3 milliards d’impôts acquittés par le groupe, essentiellement aux États-Unis.
La réforme prévoit aussi, pour faire pièce à la concurrence fiscale, l’instauration d’un taux minimum mondial d’imposition, qui pourrait être fixé à 12,5 %.
Cette feuille de route sera présentée mercredi aux ministres des Finances des pays du G20, qui avait donné mandat en 2018 à l’OCDE de réformer, au plus tard avant la fin 2020, un système fiscal international rendu caduc par l’émergence des GAFA (acronyme désignant Google, Amazon, Facebook et Apple). Le processus, complexe, a été lancé en 2013.
Un « énorme pas en avant »
Côté européen, l’on s’efforçait lundi de voir aussi le « verre à moitié plein ». « Le travail réalisé au niveau technique constitue une base solide pour avoir enfin une décision politique », s’est félicité le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire, tandis que son homologue allemand Olaf Scholz voit dans cet accord sur les grands principes « un énorme pas en avant ».
Au contraire, critiquant des propositions qui « ne sont pas à la hauteur », l’Independent Commission for the Reform of International Corporate Taxation (Icrict), un groupe de réflexion rassemblant juristes et économistes de haut vol, a appelé les pays à prendre sans attendre des « mesures unilatérales » qui auraient au moins l’avantage de « favoriser une augmentation des recettes tant que des réformes plus larges sont bloquées par les principaux membres de l’OCDE ».
À commencer par les États-Unis, qui ont suspendu leur participation à ces discussions jusqu’à l’élection présidentielle du 3 novembre. Mais une fois passée cette échéance, et même avec une nouvelle administration, rien ne dit que Washington se rangera à la solution internationale.
Face au blocage américain, la France a adopté une taxe sur les géants du numérique, qui a déjà été prélevée en 2019, mais avait accepté de suspendre le paiement des acomptes dus en 2020 pour donner sa chance au processus de l’OCDE, et apaiser Washington qui menace de représailles commerciales. Mais faute d’accord, l’acompte sur l’impôt 2020 sera bien prélevé d’ici à la fin de l’année, et le solde devra être acquitté début 2021, indique-t-on au ministère des Finances.
Reste à savoir si l’Union européenne peut changer la donne. Lors de leur dernier sommet en juillet, les 27 ont demandé à la Commission européenne de présenter au cours du premier semestre 2021 une proposition de « redevance numérique ». Un chantier toutefois complexe au vu des stratégies fiscales très divergentes des États membres en matière numérique.
AFP/LQ