L’Union européenne et les États-Unis sont en train de négocier un large accord pour la création d’un grand marché transatlantique de libre-échange, un Schengen à l’échelle mondiale à quelques détails près. Viviane Reding, eurodéputée (PPE), rapporteur sur TISA et Paul-Michael Schonenberg, président de l’American Chamber of Commerce ont ouvert le débat.
L’idée n’est pas nouvelle et date du début des années 90, lorsque les États-Unis et l’Union européenne signent une première résolution transatlantique afin de promouvoir les principes de l’économie de marché, rejeter le protectionnisme, et renforcer l’ouverture des économies nationales à un système de commerce multilatéral. Pour faire simple, faciliter les échanges entre les États-Unis et l’Europe (plus cinquante et un pays membres de l’OCDE).
Par la suite, les choses se compliquent sous la pression populaire et des syndicats, des pays comme la France refusent d’aller plus loin et renoncent à l’étape suivante consistant à signer l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) en 1998. Cet accord proposait une libéralisation accrue des échanges, la possibilité pour les entreprises d’assigner en justice des gouvernements pratiquant le protectionnisme ou entravant l’activité d’une entreprise.
L’exemple le plus connu étant l’assignation en justice de l’Uruguay par Philip Morris après que cet État sud-américain a introduit l’obligation d’un emballage marketing neutre des paquets de cigarettes, jugé comme étant une campagne discriminatoire par le géant américain du tabac.
45,5 % du PIB mondial
En 2011, de nouvelles négociations entre les États-Unis et l’Union européenne s’ouvrent dans le plus grand secret afin de créer, courant 2015, le grand marché transatlantique techniquement nommé «partenariat transatlantique de commerce et d’investissement» (PTCI ou TTIP en anglais), également connu sous le nom de «Traité de libre-échange transatlantique» (Tafta). Ce marché pourrait aboutir à la création de la zone de libre-échange la plus importante de l’histoire, couvrant 45,5 % du PIB mondial.
Les défenseurs du Tafta estiment à plus de 119 milliards d’euros les gains pour l’économie européenne et à plus de 100 milliards pour l’économie mondiale. Les exportations de l’Europe augmenteraient de 6 %, celles des États-Unis de 8 %. Ce qui, mécaniquement, améliorera l’économie, la croissance, le PIB et le marché de l’emploi.
Si les opportunités commerciales laissent songeuses, les contreparties peuvent faire peur. Dans un souci d’harmonisation du commerce, Tafta impliquerait l’alignement des normes commerciales. Concrètement, cela veut dire harmoniser les différentes règlementations en vigueur des deux côtés de l’Atlantique en matière, par exemple, d’agroalimentaire.
C’est-à-dire les pratiques en termes d’OGM, d’hormones alimentaires ou d’utilisations de pesticides. Mais aussi de fiscalité, de normes automobiles, de protection des consommateurs, etc. En bref, faciliter et harmoniser les produits et les échanges. Les pratiques étant différentes, certaines entreprises, et donc certains lobbyistes, font déjà pression dans ces négociations pour que les États européens assouplissement certaines réglementations.
Divergence de points de vue
Les anti-Tafta y voient des mesures en défaveur des consommateurs mais également du travail des artisans et des PME ayant fait beaucoup d’investissements pour obtenir des labels de qualités. Second point noir : Tafta prévoit la création de tribunaux arbitraux (mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et états – ISDS en anglais) permettant aux entreprises d’attaquer les États dans le cas où un pays nuirait à l’activité économique d’une entreprise ayant investi dans un pays étranger. Ces tribunaux arbitraux enlèveront, selon les antiTafta, toute légitimité législative à un État ainsi que le principe de gouvernance d’un pays.
>> Les arguments de Viviane Reding
Viviane Reding affirme que l’Accord sur le commerce des services (TISA) ne portera pas sur les services publics afin de protéger le consommateur : « Toute décision de déréglementer et de privatiser des services publics comme l’eau, dépendra entièrement des gouvernements nationaux et des autorités locales », souligne l’eurodéputée de la droite européenne (PPE). Elle a également précisé que la Commission sera attentive quant aux tribunaux arbitraux, se posant la question de la présidence de ces tribunaux : juges, avocats d’affaires ou les deux.
Au passage, elle a glissé être plus favorable à une cour de justice qu’à un tribunal arbitral. « Le sujet interpelle à Bruxelles, puisqu’il y a déjà plus de 200 amendements qui ont été soumis sur les textes concernant les ISDS (tribunaux arbitraux, ndlr)», conclut Viviane Reding. De son côté, le président de la Chambre de commerce américaine s’est également voulu rassurant : « Il ne faut pas diaboliser cet accord, les négociations sont là pour aboutir à la meilleure des solutions pour chaque partie. Les États-Unis sont nos amis, ne l’oublions pas. »
Jérémy Zabatta