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Télétravail «illimité» des frontaliers : en vertu de quelle contrepartie ?


Le sénateur Olivier Jacquin salue un télétravail facilité pour les frontaliers en même temps qu'il déplore l'absence de compensation financière pour le versant français, des millions d'euros d'impôt sur le revenu filant des mains de la France (Photo d'archives : LQ).

L’annulation des paliers fiscaux du télétravail commence à interroger du côté français. Le sénateur lorrain Olivier Jacquin (PS), s’il se réjouit que les frontaliers ne rencontrent pas de tracas de double déclaration, estime que le manque à gagner fiscal n’est pas justifié pour la France. Sauf à imaginer une forme de compensation dont aucun horizon n’est pourtant discuté.

La France et le Luxembourg ont confirmé la prolongation de l’accord sur la fiscalité du télétravail jusqu’au 31 décembre, comme on le sait (lire ce papier pour comprendre les différents seuils concernant habituellement les frontaliers). Pour les Français, cet accord suspend l’application du palier de 29 jours de télétravail au-delà duquel ils doivent normalement déclarer tout jour de télétravail supplémentaire au fisc français, et non plus être prélevés à la source au Grand-Duché. Un fléchage de l’impôt qui n’a pas d’impact majeur sur leur salaire net au final, et qui pourrait même s’avérer bénéfique dans bon nombres de cas, vu que l’impôt sur les personnes est globalement plus faible en France qu’au Grand-Duché.

« C’est une bonne nouvelle pour les travailleurs frontaliers qui n’auront pas à produire deux déclarations d’impôt sur le revenu », salue quoi qu’il en soit le sénateur. Qui s’interroge ensuite : en vertu de « quelle contrepartie » ? Puisque la France renonce très concrètement à une imposition substantielle de l’impôt. « Plus de 50 000 navetteurs frontaliers seraient concernés par la possibilité de télétravailler de façon illimitée depuis leur domicile en France, tout en continuant de reverser au Luxembourg l’intégralité de leur impôt sur le revenu, souligne le sénateur. À rebours donc de la doctrine fiscale internationale qui veut que le travail soit imposé dans l’État au sein duquel il est effectué. »

Où l’article 15 OCDE perd définitivement tout son sens

Le sénateur fait référence ici à l’article 15 du modèle des conventions bilatérales de l’OCDE, qui régit la plupart des relations internationales (lire ci-dessous). Le même article derrière lequel le Grand-Duché se cache pour éviter tout débat sur les compensations fiscales. Alors que l’article en question est, de l’aveu même de la direction de l’OCDE, taillé pour les travailleurs internationaux (X travaille 6 mois en Angleterre et six mois en Allemagne, quel pays prélève l’impôt ?) et non pas pour les travailleurs « pendulaires », qui rentrent chez eux tous les soirs, et qui pèsent donc sur les finances publiques de deux états simultanément.

Avec le télétravail illimité, la France et le Luxembourg ne se retrouvent même plus dans ce débat épineux du partage de l’impôt, mais dans une inversion complète de l’article 15 OCDE.

Pas de compensation en vue

Le sénateur s’interroge in fine sur la possibilité d’une compensation à venir. Mais sans illusion. « Comme je l’exprimais déjà début juillet, j’aurais été favorable à l’augmentation des seuils d’imposition du télétravail qu’à la condition que l’accord fiscal entre nos pays soit corrigé et prévoie une compensation. Ce qui ne semble pas être le cas une fois encore. »

Selon nos informations, une compensation financière n’était aux dernières nouvelles (avant crise) pas discutée entre les deux États. Il n’y a effectivement aucune raison de l’espérer. La conférence franco-luxembourgeoise d’octobre pourrait au mieux aboutir à une forme de « package » d’investissements luxembourgeois côté français (sorte de 3e voie proposée par le maire de Nancy Mathieu Klein) au pire aboutir à des co-investissements par petites touches, comme lors de la dernière rencontre franco-luxembourgeoise. Loin, dans les deux cas, des millions d’euros en jeu avec une main-d’œuvre frontalière qui ne cesse d’augmenter (un quart des actifs au Luxembourg sont frontaliers français), et la logique d’organiser une véritable forme de répartition de l’imposition.

Pour rappel, le Luxembourg est actuellement le seul état frontalier avec lequel la France n’a pas organisé une forme de partage de l’impôt des frontaliers, à l’exception de Monaco, où l’impôt sur le revenu n’existe pas, et où le frontalier est donc pleinement prélevé comme un travailleur lambda du côté français.

La question reste donc entière : en échange de quoi, de tels cadeaux fiscaux ?

Hubert Gamelon

L’article 15 du modèle des conventions bilatérales de l’OCDE

1. Les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre État contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État.

2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les rémunérations qu’un résident d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié exercé dans l’autre État contractant ne sont imposables que dans le premier État si : a) le bénéficiaire séjourne dans l’autre État pendant une période ou des périodes n’excédant pas au total 183 jours durant toute période de douze mois commençant ou se terminant durant l’année fiscale considérée, et b) les rémunérations sont payées par un employeur, ou pour le compte d’un employeur, qui n’est pas un résident de l’autre État, et c) la charge des rémunérations n’est pas supportée par un établissement stable que l’employeur a dans l’autre État. 3. Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, les rémunérations reçues par un résident d’un État contractant au titre d’un emploi salarié, en tant que membre de l’équipage régulier d’un navire ou aéronef, exercé à bord d’un navire ou d’un aéronef exploité en trafic international, à l’exception d’un emploi exercé à bord d’un navire ou d’un aéronef exploité uniquement dans l’autre État contractant, ne sont imposables que dans le premier État.