Et si les plus fortunés étaient mis à contribution après la crise sanitaire ? L’idée fait son chemin au Royaume-Uni où la pandémie menace d’aggraver les inégalités dans un pays connu pour sa générosité envers les plus riches.
Chômage de masse, faillites en séries, appauvrissement des plus vulnérables : si la société est touchée de plein fouet par le choc économique de la crise sanitaire, pour les milliardaires, le monde d’après pourrait ressembler de près au monde d’avant.
Certes, les plus grosses fortunes du Royaume-Uni ont, pour la première fois en plus de dix ans, perdu de l’argent en 2020, révélait en mai le Sunday Times.
Le patrimoine des 1 000 plus grandes fortunes a fondu de 54 milliards de livres en seulement deux mois à cause de l’impact économique de la pandémie.
Mais il s’élève encore à 743 milliards de livres et le pays compte 147 milliardaires, Londres restant leur capitale mondiale, avec en tête l’inventeur James Dyson, connu pour ses aspirateurs sans sac et doté d’une fortune estimée à 16,2 milliards de livres.
« L’argent continue de pleuvoir au sommet », tranche Rowland Atkinson, professeur à l’Université de Sheffield (nord de l’Angleterre) et auteur du livre « Alpha City, comment Londres a été accaparée par les super-riches ».
Il pense même que les plus fortunés sont « protégés » dans le pays, souvent proches des conservateurs et savent comment mettre à l’abri leur argent.
Certains milliardaires ont été accusés lors de la crise sanitaire de vouloir profiter de l’argent public, via des prêts ou du chômage partiel, pour arranger leurs affaires.
L’ONG Greenpeace avait mis en cause Richard Branson, qui selon elle n’a pas payé d’impôts au Royaume-Uni depuis 14 ans et exige que le gouvernement sauve sa compagnie aérienne Virgin Atlantic.
Et derrière la pandémie de coronavirus, c’est le spectre d’une nouvelle décennie d’austérité qui resurgit après la crise financière 2008. Celle-ci n’avait fait que renforcer les inégalités au détriment des plus pauvres.
Pour l’heure, le gouvernement de Boris Johnson dépense presque sans compter des dizaines de milliards de livres pour amortir le choc et éviter des dégâts sociaux trop importants.
Mais le déficit va exploser à près de 300 milliards de livres sur un an et son financement constituera un casse-tête pour les conservateurs, traditionnellement peu enclins à taxer les riches.
Actions radicales
Cette fois-ci le gouvernement aura du mal à ne pas associer les grandes fortunes à l’effort national afin d’éviter des coupes trop fortes dans les services publics, alors même que les travailleurs aux revenus modestes, notamment ceux du secteur de la santé, ont été en première ligne dans la lutte contre la pandémie – parfois le payant de leur vie.
« Dans le contexte actuel, je ne vois pas de soutien politique pour davantage de coupes » dans les dépenses publiques, souligne Arun Advani, professeur à l’Université de Warwick (centre de l’Angleterre).
« Le gouvernement a montré qu’il peut agir de manière radicale désormais, comme avec le chômage partiel ou l’aide aux travailleurs indépendants. Je suis optimiste sur le fait qu’il va faire de nouvelles propositions sur la hausse des impôts », dit-il.
Un sondage de YouGov publié mi-mai montrait que 61% des Britanniques sont pour une taxe sur la fortune pour les patrimoines de plus de 750.000 livres.
Signe de l’anxiété des milieux d’affaires, le Financial Times a organisé le mois dernier une séance de questions-réponses pour ses lecteurs sur le fonctionnement d’une taxe sur la fortune, qui a attiré un nombre record de commentaires.
Richard Murphy, professeur à City University à Londres, estime que le gouvernement a beaucoup d’outils à sa disposition pour taxer les plus riches sans passer nécessairement par un impôt sur la fortune.
Simplement ponctionner davantage les revenus tirés du capital et au même niveau que ceux provenant du travail permettrait de faire entrer 174 milliards de livres dans les caisses de l’Etat chaque année. De quoi largement financer le budget annuel du système de santé NHS, qui tourne autour de 120 milliards de livres.
Pour l’historien de l’Université de Stanford Walter Scheidel, les grands désastres mondiaux comme les guerres ou les pandémies, permettent de changer les choses en profondeur et de réduire les inégalités, et ce pourrait être le cas du coronavirus, expliquait-il début avril dans une tribune du New York Times.
AFP