La Baque centrale européenne ne bougera pas encore ses taux malgré l’inflation. Une hausse est annoncée seulement après le troisième trimestre 2022.
La Banque centrale européenne (BCE) a confirmé ce jeudi la normalisation de sa politique anticrise sans se montrer pressée de relever les taux en dépit du «sévère» impact économique de la guerre en Ukraine, notamment sur l’inflation. À l’issue du Conseil des gouverneurs, dont les observateurs n’attendaient pas de décision majeure, l’institut a réitéré son signal de mars en faveur de la stabilité des prix, annonçant que les achats nets d’actifs, effectués dans le cadre de l’APP, prendront fin au «troisième trimestre». Il est toujours prévu que la première hausse des taux, maintenus hier au plus bas, intervienne «quelque temps après», sans plus de précision. Et ce malgré une hausse des prix record en zone euro, qui a frôlé 8 % sur un an en mars – près de quatre fois l’objectif de 2 % visé par la BCE.
«Cela peut être tôt ou tard dans le trimestre, qui a trois mois» et «le calendrier exact sera déterminé lors de la prochaine réunion» en juin, a expliqué la présidente Christine Lagarde. L’institution de Francfort reste ainsi la plus attentiste des grandes banques centrales, alors que la guerre en Ukraine a donné un brutal coup d’accélérateur aux prix avec des effets qui pourraient s’installer dans la durée. Partout ailleurs, de Washington à Londres en passant par Séoul hier, les taux d’intérêt ont commencé à augmenter pour lutter contre l’inflation. Mais comparer les économies américaine et européenne, «c’est comme comparer des pommes et des oranges», a justifié Christine Lagarde. «La zone euro est plus exposée et souffrira plus des conséquences de la guerre.»
Risque de fragmentation dans la zone euro
L’horizon économique considérablement assombri avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie complique la tâche de la BCE. «La guerre en Ukraine affecte sévèrement l’économie de la zone euro et a considérablement accru l’incertitude», a noté Christine Lagarde. Nombre de pays de la zone euro pourraient connaître un recul du PIB au cours des prochains trimestres. Et un embargo européen sur le gaz russe aurait «un impact significatif» sur l’économie, note la Française. De nouveaux confinements en Chine, comme à Shanghai, pour lutter contre la flambée du covid-19 perturbent de nouveau le commerce maritime, accentuant la pression sur les chaînes d’approvisionnement.
Le débat au sein du Conseil des gouverneurs oppose alors les «faucons» aux «colombes» : les premiers prônent un maintien d’une politique monétaire accommodante pour ne pas mettre en danger la reprise économique face à une inflation qui échappe au contrôle de la BCE. Mais les faucons, partisans d’une approche plus stricte et prenant lentement l’ascendant dans le débat, voient eux le risque d’une inflation s’enracinant au fil du temps avec le risque de pressions accrues pour des hausses salariales. «L’inflation sous-jacente a dépassé 2 % ces derniers mois» mais la durée de cette hausse est «incertaine», a noté Christine Lagarde.
À l’affût du moindre indice d’un ton plus agressif sur l’inflation, les observateurs ont disséqué le vocabulaire de la BCE. L’annonce des gardiens de l’euro était «légèrement plus affirmative» sur le calendrier de normalisation monétaire, et «il faudrait désormais une récession sévère ou une forte chute des prévisions d’inflation» pour empêcher la fin des rachats de dette, note Carsten Brzeski, économiste chez ING. «Le voyage» de la normalisation monétaire «a commencé», a affirmé Christine Lagarde. «Il se passe comme prévu (…) et nous voulons garder toutes les options ouvertes.» Mais si l’institution de Francfort temporise, c’est parce qu’elle a «probablement besoin de plus de clarté sur les perspectives de croissance, d’inflation et de rendements obligataires», selon Holger Schmieding, économiste chez Berenberg. La BCE est ainsi préoccupée par le risque d’une «fragmentation» au sein de la zone euro de 19 pays aux économies très disparates, qui se reflète dans la hausse des rendements d’emprunts d’États. C’est le signe que les marchés se préparent à être sevrés de liquidités après sept années de rachats de dette par la BCE, puis à voir les taux remonter pour la première fois depuis 2011. Si aucun nouvel outil n’est en préparation, «nous pourrions le faire» et «nous allons mettre au point tout instrument approprié», a commenté Christine Lagarde.