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Syndicats européens et canadiens unis contre le CETA


Les syndicats sont particulièrement mobilisés, de part et d'autre de l'Atlantique. (photo AFP)

L’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada, le CETA, doit être signé le 27 octobre à Bruxelles entre l’Union européenne et le Canada. La société civile est largement mobilisée contre cet accord commercial dont elle craint les impacts négatifs sur l’emploi, le service public, le droit du travail, l’environnement et l’alimentation.

Véronique Eischen, membre du bureau exécutif de l’OGBL, explique pourquoi cet accord est mauvais pour les salariés.

Les syndicats européens sont opposés au CETA. En quoi cet accord est-il une menace pour les salariés ?

Véronique Eischen : Le CETA ne concerne pas que les salariés, il concerne les citoyens de toute l’Europe. Pour ce qui est des salariés, il y a dans cet accord des clauses, notamment sur les normes, qui vont avoir un impact énorme sur le pouvoir d’achat, sur la possibilité de négocier des acquis favorables, de meilleures conditions de travail. Ce que le CETA remet fortement en cause, c’est le pouvoir de négocier de meilleures conditions pour les salariés et plus généralement pour les consommateurs.

Une critique fréquente à l’égard du CETA porte sur la création d’une juridiction par laquelle les entreprises pourront attaquer les États si leurs profits sont menacés. Les États vont-ils dès lors s’interdire de légiférer dans le domaine social ?

Un gouvernement va hésiter à légiférer en faveur des salariés s’il sait qu’avec une justice parallèle au service des investisseurs il peut être attaqué par des entreprises qui pensent qu’elles feront un moindre bénéfice. Si les gouvernements savent qu’ils peuvent être condamnés à payer des milliards à des sociétés, il est probable qu’ils s’abstiendront.

Le traité, tel qu’il est présenté, vise une harmonisation des normes. De quoi s’agit-il ?

En Europe, nous avons un système de régulation préventive. Aux États-Unis et au Canada, il s’agit d’un système de régulation par voie de réparation. Cela signifie qu’en Europe, avant de mettre un produit sur le marché, il faut prouver qu’il n’est pas nuisible pour le consommateur. Au Canada et aux États-Unis, vous n’avez pas besoin de prouver au préalable que le produit n’est pas nuisible. Ce n’est qu’après, s’il arrive quelque chose, que vous avez le droit de porter plainte en réparation. Ce n’est pas cela que les consommateurs veulent en Europe. Si on tombe malade par exemple, qu’est-ce qu’on en a à faire d’une somme qu’on va nous payer, alors qu’on sera peut-être mort bien avant de toucher quoi que ce soit. Les Européens ne veulent pas accepter ce mode de fonctionnement. Le système de régulation préventive est un véritable choix de vie qu’on s’est donné en Europe.

Ce n’est pourtant pas ainsi que les choses sont présentées…

On nous parle d’harmonisation des normes. Mais je voudrais qu’on nous explique comment, en présence de deux systèmes aussi fondamentalement opposés, on va réguler ensemble. On peut fortement douter que la régulation se fasse en faveur de l’Europe. Les textes ne sont d’ailleurs pas clairs sur ce point. Ils ne disent pas que la régulation se fera de façon préventive. Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, qui défend le texte, dit que rien ne pourra entrer en Europe si les normes européennes ne sont pas respectées. Si c’est le cas, alors rien ne pourra entrer en Europe, car les normes canadiennes seront toujours différentes. Et dans ce cas, à quoi sert-il de faire un tel accord ? On nous dit que 80 % des bienfaits de cet accord viendra de l’harmonisation des normes, c’est faux.

Au-delà de l’aspect commercial, les défenseurs du CETA avancent que cet accord permettra de resserrer plus généralement les liens avec le Canada. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?

On nous dit : « Les Canadiens sont les gentils et les Américains sont les méchants… et c’est pour ça qu’il faut signer le CETA et pas le TTIP. » C’est ridicule. Moi je veux bien qu’on nous parle d’amitié avec le Canada. Mais pour cela, nous n’avons pas besoin d’un accord qui a pour seul but de garantir les intérêts des multinationales, qui vont à l’encontre des intérêts des citoyens. Nous pouvons être amis avec les Canadiens sans le CETA.

CETA et TTIP, même combat alors ?

Nous savons tous que le CETA est le cheval de Troie du TTIP. On nous dit qu’avec les Canadiens tout ira bien car ils ne sont pas aussi méchants. C’est totalement ridicule.

Les promoteurs du texte affirment pourtant que les sociétés américaines ne pourront pas s’appuyer sur le CETA pour partir à la conquête des marchés européens.

Tout cela n’est pas vraiment précisé dans le texte. Quand on parle par exemple de filiale d’une société américaine, on peut très bien imaginer une entreprise dans laquelle travaillent une ou deux personnes. Il n’est nullement précisé que les filiales seront exclues de l’accord. À entendre M. Asselborn, tout ce qui est négatif pour les Européens serait exclu de l’accord : les services publics, le droit du travail, etc. Il faut croire que nous n’avons pas les mêmes textes que lui.

Les domaines exclus de l’accord figurent sur des listes dites « négatives ». De quoi parle-t-on ?

Pour la première fois, on fonctionne selon un système de listes négatives, alors qu’avant on fonctionnait toujours avec des listes positives. Une liste négative dit clairement que tout est libéralisé sauf certains secteurs qui sont spécifiquement repris dans ces listes négatives. Pour le Luxembourg, par exemple, tout est libéralisé, mis à part les professions de pharmacien et d’avocat. Rien d’autre n’a été ajouté à ces listes négatives.

Le 10 octobre 2015, plusieurs centaines de manifestants étaient réunis place Clairefontaine, à Luxembourg, contre le TTIP et le CETA. Une nouvelle manifestation aura lieu samedi. (archives Editpress/Jean-Claude Ernst)

Le 10 octobre 2015, plusieurs centaines de manifestants étaient réunis place Clairefontaine, à Luxembourg, contre le TTIP et le CETA. Une nouvelle manifestation aura lieu samedi. (archives Editpress/Jean-Claude Ernst)

L’OGBL et la plateforme Stop TTIP semblent très remontés contre la façon dont le Luxembourg a négocié cet accord pour le pays.

On est en train de nous dire qu’avec les protocoles additionnels en cours de discussion toutes les craintes des gens seront levées, notamment sur les droits des travailleurs. On nous dit que ce texte sera disponible avant la signature du CETA. En réalité, il sera au mieux disponible le 12 octobre à la faveur d’une réunion européenne. Au Luxembourg, ce protocole additionnel doit être présenté aux députés le 17 octobre, soit un jour avant la signature du CETA par les Européens. M. Asselborn ne sera même pas là pour le présenter, puisqu’il sera en déplacement en Asie. Si on prétend vouloir discuter avec les gens en toute transparence, prendre en compte leurs craintes, on n’attend pas un jour avant la signature pour divulguer un texte. Comment voulez-vous que nous l’analysions et le discutions un jour avan t? Ce sera trop tard. Jean-Claude Juncker a été clair sur ce point : une fois le CETA adopté, il ne sera plus renégociable.

Comme pour le TTIP, l’on en revient à la question de la transparence ?

Il n’y a pas eu de transparence. C’est la pression de la société civile qui a mené à de la transparence. Mais avec ce protocole additionnel, on refait exactement la même chose.

À travers ce texte, l’on constate qu’il ne suffit plus à un homme politique de dire « croyez-moi » pour être suivi. S’agit-il d’une défiance à l’égard de la parole politique ?

Si vous faites vraiment tout pour que les gens ne vous croient plus, ils finissent par ne plus vous croire. C’est cela qui arrive actuellement. La situation européenne n’est pas bonne : il y a énormément de chômage, beaucoup de jeunes qui sont sans emploi, jusqu’à 50 % dans certains pays, la pauvreté et les inégalités augmentent. C’est la conséquence des politiques néolibérales menées depuis des décennies. Il y a en Europe une montée de mouvements politiques très mauvais. Mais faut-il s’en étonner avec une telle politique d’austérité ? Qui a payé pour la crise? Ce ne sont pas ceux qui l’ont provoquée, ce sont les citoyens qui ont travaillé tous les jours, qui font leur boulot. Aucun de ceux qui ont provoqué cette crise n’a été condamné à en payer les conséquences? Au contraire, on continue avec la même politique, on continue à charger les gens. Il est normal qu’ils deviennent sceptiques et ne croient plus en la politique. Avec le CETA, on est encore dans cette politique néolibérale en faveur des investisseurs.

Aurait-il fallu associer la société civile aux négociations ?

On a négocié quelque chose sans que la société civile soit présente. En revanche, il y aura une commission mixte composée de technocrates nommés par les ministres du Commerce européens et canadien. Ils pourront décider de changements dans l’accord CETA et ils devront être obligatoirement transposés. Ce qui veut dire que si demain on signe un protocole qui lèverait toutes nos craintes, ils pourront le changer. Et comme c’est un accord à portée supranationale, les pays devront s’y résoudre.

Cela ne pourrait-il pas aussi porter sur des améliorations dans le domaine social ?

Il y a en matière de droit du travail un organe de médiation qui est prévu. Mais il n’y aura aucune obligation pour les États de suivre les recommandations qu’il rendra. Chacun sera libre d’en faire ce qu’il veut.

Vraiment rien n’est donc prévu pour la conservation du droit du travail ?

On nous dit que le Canada respecte les huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ce n’est pas vrai. Il en reste toujours une que le Canada n’a pas ratifiée : celle portant sur le droit de s’organiser et négocier des conventions collectives. M. Asselborn prétend qu’il y aurait obligation pour le Canada de la ratifier, mais cette obligation ne se trouve pas dans les textes de l’accord.

Les salariés ne sont pas seuls à craindre ce texte. Des patrons de PME sont également inquiets.

Si on prend une petite entreprise qui veut exporter vers le Canada, il lui faut une certification de ses produits. Cela va lui coûter d’énormes sommes d’argent qu’elle ne pourra pas payer, ça peut monter à plusieurs millions d’euros. Seules les multinationales, les grosses entreprises, le pourront. Il y a aussi le fait qu’au Canada de grandes multinationales ont la possibilité de produire de façon complètement différente et à des coûts moindres. Beaucoup de PME en Europe auront des problèmes de survie.

L’opposition de la société civile peut-elle encore aboutir à un abandon de l’accord par le Luxembourg ?

Si le gouvernement luxembourgeois, qui soutient le CETA, va au bout de sa démarche, il est clair qu’il souscrit pleinement à la politique néolibérale de la Commission européenne.

Entretien avec Fabien Grasser

Le LSAP se prononce

Le LSAP, le Parti socialiste luxembourgeois, se réunissait mardi soir en congrès extraordinaire à Strassen pour donner son feu vert au CETA ou le rejeter. Le projet de résolution qui sera soumis aux militants conditionne notamment le vote des socialistes à une ratification du CETA par le Parlement national, à la préservation des services publics et du principe de précaution ainsi qu’à l’indépendance «des membres siégeant au tribunal permanent des investissements».

Manif samedi

«Plus que jamais : non à TTIP et CETA !» est le mot d’ordre de la manifestation qui doit réunir plusieurs milliers d’opposants à l’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada, samedi à Luxembourg. Le cortège prendra son départ à 10h place de la Gare pour arriver vers 11h30 place Clairefontaine.

Syndicats canadiens sur le pied de guerre

Au Canada, les syndicats sont fermement opposés à l’adoption du CETA. Leurs arguments rejoignent à peu de chose près ceux des syndicats européens.

Manifestation contre le CETA devant le Parlement à Ottawa : les mêmes symboles et les mêmes craintes mobilisent les syndicats européens et canadiens. (photo AFP)

Manifestation contre le CETA devant le Parlement à Ottawa : les mêmes symboles et les mêmes craintes mobilisent les syndicats européens et canadiens. (photo AFP)

Le Canada et l’Europe partagent de nombreuses valeurs qui pourraient nous permettre d’approfondir nos relations commerciales d’une manière juste et équitable en respectant de forts droits des travailleurs et travailleuses et des normes environnementales élevées. Malheureusement, le CETA nous en empêche.» La déclaration, le 16 septembre dernier, de Hassan Yussuff, président du Congrès du travail du Canada (CTC), ne souffre d’aucune ambiguïté. Le CTC fédère les syndicats canadiens et représente 3,3 millions de salariés syndiqués. Il est fermement opposé à la mouture actuelle de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne.

Hassan Yussuff prononçait ces mots au lendemain de la signature d’une «déclaration commune des syndicats canadiens» regroupés au sein du CTC et qui se voulait l’écho des protestations européennes. «Nous exhortons le gouvernement canadien à ne pas ratifier le CETA. Cet accord menace nos services publics, notre système de santé et nos emplois», a ainsi affirmé le président du Syndicat canadien de la fonction publique, Mark Hancock. Pour sa part, le directeur national du Syndicat des métallos, Ken Neumann, déclarait : «La ministre canadienne du Commerce international, Chrystia Freeland, qualifie l’accord commercial Canada-Union européenne de progressiste, mais c’est tout à fait faux. Dans son état actuel, le CETA est fondamentalement boiteux. Il fait passer les intérêts de l’entreprise privée avant ceux des Canadiens.»

Cinq points à revoir

Président des TUAC canadiens, premier syndicat du secteur privé avec 250 000 membres, Paul Meinema jugeait le même jour que «des accords commerciaux comme le CETA sont déséquilibrés et ne profitent qu’aux multinationales». «Ce qu’il nous faut, ce sont des accords commerciaux équilibrés qui sont avantageux pour tous les salariés ainsi que pour les secteurs où ils travaillent», poursuivait-il avant d’appeler «le gouvernement fédéral de Justin Trudeau» à ne «pas ratifier le CETA, un pacte dangereux».

Toutes ces déclarations ressemblent à s’y méprendre à celles des leaders syndicaux européens. Les préoccupations que suscitent le CETA de part et d’autre de l’Atlantique se rejoignent à un tel point que le 4 mai dernier, la CES (Confédération européenne des syndicats) et le CTC ont adopté une résolution commune. Ils demandent aux négociateurs de la Commission européenne et du ministère canadien du Commerce cinq modifications majeures de l’accord : l’élimination des tribunaux de l’investisseur, le respect du droit du travail, la possibilité de réviser l’accord dans les cinq ans suivants sa ratification, la protection des services publics et la protection des autorités locales.

«Avantages aux grandes entreprises»

L’opposition des syndicats canadiens au CETA est largement alimentée par les expériences négatives que le pays connaît depuis 25 ans au travers de deux accords de libre-échange. Le premier, signé en 1989, est l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE). Le second, conclu en 1994, est l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) entre les États-Unis, le Canada et le Mexique.

Les impacts négatifs de ces accords ont été documentés en octobre dernier dans un rapport établi par le Conseil des Canadiens. Cette organisation citoyenne, la plus importante du pays, avait été fondée en 1985 contre l’Accord de libre-échange canado-américain. Elle dénonce particulièrement les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États. Le constat est amer : «Sur les 77 poursuites connues entre investisseur et État en vertu de l’Alena, 35 ont été intentées contre le Canada, 22 visaient le Mexique et 20 les États-Unis. Le gouvernement des États-Unis a remporté 11 de ses affaires et n’a jamais perdu une affaire en vertu de l’Alena, ni payé de dédommagement à une société canadienne ou mexicaine. Cela prouve que même si les accords commerciaux semblent traiter toutes les parties équitablement, les pays les plus puissants sont généralement mieux immunisés contre les poursuites commerciales.»

Le rapport du Conseil des Canadiens bat également en brèche l’idée selon laquelle le CETA stimulera l’emploi et la croissance au Canada et dans l’Union européenne : «L’expérience de l’Alena montre que les avantages ont profité presque exclusivement aux grandes entreprises fortunées. Les revenus des ménages et des travailleurs ont stagné et la dette des ménages a augmenté pour atteindre des niveaux historiques.» Si le CETA est adopté, le Conseil des Canadiens chiffre à 23 000 le nombre d’emplois rapidement menacés au Canada.

Fabien Grasser