L’Allemagne tient-elle son géant bancaire ? Les spéculations vont bon train sur un mariage entre Deutsche Bank et Commerzbank, pourtant guère flamboyantes, alors que Berlin manœuvre en coulisses pour les rapprocher.
Les cours des deux instituts, au plus bas ces derniers temps, ont soudainement bondi en Bourse mercredi, portés par de nouvelles rumeurs de fusion, pendant que la presse scrute les avancées de ce serpent de mer. Actionnaire de Commerzbank à 15%, l’État allemand a mené pas moins de 23 réunions ou entretiens téléphoniques avec Deutsche Bank entre mai et décembre dernier, selon la réponse du ministère des Finances à une question parlementaire des Verts.
« Ouvert à toutes les options économiques pertinentes », le gouvernement a discuté d’ « options stratégiques » pour la première banque allemande, explique la secrétaire d’État Bettina Hagedorn, dans un courrier. En clair, décrypte un banquier francfortois proche du secteur public, Berlin entend éviter « de voir ces banques très peu valorisées tomber dans l’escarcelle d’un établissement étranger ».
Naissance d’un mastodonte
« On a besoin d’au moins une banque de dimension mondiale et où la politique prend part au jeu, pour ne pas être à la merci d’une banque étrangère fermant le robinet en cas de crise », renchérit le représentant d’un grand actionnaire de Deutsche Bank. Sur le papier, un mariage entre les deux banques allemandes donnerait naissance à un mastodonte pesant près de 2 000 milliards d’euros d’actifs, comparable à BNP Paribas.
De quoi renforcer la banque de détail en Allemagne sans craindre d’occuper une position dominante dans un paysage en majorité aux mains des Caisses d’épargne et banques coopératives. Cette base de clients élargie aiderait aussi à l’expansion internationale, avec la banque d’affaires et la gestion d’actifs qui sont les piliers de la « Deutsche ». Pourtant une telle union, envisagée depuis des années sans jamais se matérialiser, suscite un enthousiasme pour le moins limité. Le superviseur allemand, la Bafin, n’y verrait pas d’obstacle fondamental, mais ses calculs internes lui font préférer le statu quo ou un rapprochement avec des acteurs non allemands. La Bafin estime en effet que les faiblesses actuelles des deux établissements, côté résultats et fonds propres, les empêcheraient de profiter pleinement d’un mariage.
« Porteurs de béquilles »
Quant à la Banque centrale européenne, elle privilégie une consolidation transfrontalière pour « remettre le secteur bancaire (européen) en forme », a maintes fois expliqué Danièle Nouy, l’ancienne présidente du superviseur logé au sein de la BCE. Les dirigeants des deux banques concernées, lancées dans une longue œuvre de redressement qui tarde à porter ses fruits, ont de leur côté toujours réfuté l’idée d’un rapprochement.
« Deux porteurs de béquilles réunis ne font pas un sprinter », ironise Markus Kienle, avocat représentant l’association de minoritaires SdK. Un tel rapprochement « n’est ni nécessaire ni pertinent », même si « cela pourrait être différent dans un an ou deux ans », nuance le représentant d’un grand actionnaire de Deutsche Bank, se gardant de fermer totalement la porte. Car les obstacles ne manqueraient pas: la pénible réunion de systèmes informatiques, la casse sociale inévitable en Allemagne, déjà redoutée par le syndicat Verdi, les différences culturelles entre les « jaunes » de Commerzbank et les « bleus » de Deutsche Bank, mieux payés et plus âpres au gain, sans parler des tensions avec le marché pour refinancer ce colosse aux pieds d’argile.
Somme toute un projet herculéen demandant du doigté… et du temps, « qui va manquer à ces banques dans un secteur en profonde mutation », selon Markus Rießelmann, analyste chez Independent Research.
LQ/AFP