L’année 2020 avait pourtant bien démarré économiquement parlant, au Luxembourg. Un marché automobile qui roule, des clients qui se bousculent dans des temples de la consommation flambants neufs, des usines qui tournent à plein régime… Jusqu’à ce que la pandémie mette toute la mécanique à l’arrêt. Retour sur douze mois d’une économie chahutée.
Par Jeremy Zabatta
Janvier
De belles perspectives…
L’année 2020 commence avec de belles perspectives. Le marché automobile luxembourgeois a encore signé un record avec 55 008 nouvelles immatriculations en 2019 (+4,16 % sur un an), tout comme le Findel qui a enregistré une augmentation de 9 % de ses passagers pour atteindre 4,4 millions de voyageurs en un an. Les consommateurs commencent à trouver de nouvelles habitudes dans les 100 000 m² flambant neufs des trois derniers temples de la consommation que sont les centres commerciaux de la Cloche d’or à Gasperich, du Royal-Hamilius au centre-ville et du complexe Infinity au Kirchberg. Autre bonne nouvelle pour la start-up nation que le Luxembourg se veut être, 21 jeunes pousses luxembourgeoises font belle impression au CES de Las Vegas, le plus grand salon au monde dédié aux nouvelles technologies.
Enfin, le Luxembourg part à la conquête des Émirats arabes unis qui doivent devenir d’ici quelques mois le centre du monde avec une Exposition universelle hors normes. Un pavillon grand-ducal y sera la vitrine du pays avec l’objectif d’attirer de nouveaux partenaires commerciaux pour les entreprises luxembourgeoises. Le Grand-Duché profite également de la construction de son pavillon pour renforcer ses liens avec le pays du Golfe friand de start-up, mais également intéressé par la récente initiative spatiale impulsée par Étienne Schneider, le ministre de l’Économie.
Février
Un pays bien géré
Le FMI rend un avis plutôt favorable sur le Grand-Duché : le pays, dont les politiques économiques sont jugées saines, a réalisé de solides performances économiques se traduisant par des gains au niveau de l’emploi et une baisse du chômage ces dernières années. Dans ce même mois, le ministre de l’Économie, Étienne Schneider, quitte ses fonctions pour s’accomplir dans le privé. Il passe le flambeau à un autre socialiste, Franz Fayot. De plus, le Luxembourg continue d’être honoré d’un triple A par les agences de notation. En fin de mois, la Banque et caisse d’épargne de l’État s’attire les foudres de l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC) après avoir décidé de fermer 11 agences dans le pays. Une décision motivée par la diminution de la fréquentation des agences et une utilisation en hausse des outils numériques par la clientèle pour gérer ses finances.
Mars
Un plan sans précédent
Le Luxembourg plonge dans la crise sanitaire. Un confinement général est mis en place, faisant craindre le pire pour de nombreuses entreprises et un très grand nombre de travailleurs. L’État présente un plan de stabilisation sans précédent. Il consiste en une enveloppe de 8,8 milliards d’euros, soit 14 % du produit intérieur brut du Grand-Duché. De plus, l’État, fort d’une bonne note de confiance sur les marchés, prévoit de lancer un emprunt pour permettre de financer une partie des mesures d’aides sans devoir dépendre des aides européennes ou dégrader dangereusement ses finances. Selon les prévisions, ce plan va faire grimper la dette publique à 20 % du PIB, mais devrait rester en dessous des 30% du PIB, soit un niveau largement acceptable par rapport aux voisins européens.
Dans le détail de ce plan de stabilisation, l’État souligne que 1,75 milliard d’euros sont des aides directes. Un milliard d’euros sont consacrés au chômage partiel et 400 millions d’euros au congé pour raisons familiales. En effet, la fermeture des écoles oblige les parents à rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants au lieu d’aller travailler.
Un sentiment mitigé
Les PME doivent bénéficier de 300 millions d’euros d’aides directes et 50 millions d’euros sont alloués pour aider les entreprises de plus de 9 salariés. L’État décide également d’un report de charges sociales et d’impôts à hauteur de 4,5 milliards d’euros, en plus d’un report de TVA, et annonce avoir trouvé un accord avec les banques de la place pour qu’elles se portent garantes de 80 % des prêts aux entreprises devant contracter un crédit pour faire face à la crise. Cette garantie bancaire est de 2,5 milliards d’euros. Mais, très vite, les critiques autour de ce plan de stabilisation se font sentir. Les indépendants et les start-up se disent oubliés et craignent le pire, alors que les entreprises déplorent que ce plan fasse la part belle à des aides qui devront être remboursées.
En effet, l’État ne va dépenser que 1,75 milliard d’euros dans un premier temps. Les sept milliards d’euros restants ne sont en grande partie que des reports d’impôts et de charges sociales ou encore une garantie au cas où une entreprise ferait un nouvel emprunt. Si le plan et l’enveloppe se veulent ambitieux, certains entrepreneurs ont du mal à rester optimistes. Sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à exprimer un sentiment mitigé en soulignant que la réponse du gouvernement à la crise était essentiellement de proposer aux entreprises de prendre un crédit et de se couvrir de dettes pour sortir de la crise.
Avril
Une économie mise à rude épreuve
L’économie luxembourgeoise est en situation de crise et le chômage partiel est une bouée de sauvetage pour un grand nombre d’entreprises. En début de mois, le nombre de salariés au chômage partiel est de 73 254. Pour se faire une idée plus concrète de ce que représente ce nombre, en février dernier, le pays comptait 474 857 personnes travaillant sur le territoire luxembourgeois. Un peu plus de 15 % de l’emploi intérieur est donc en chômage partiel. À la mi-avril, un total de 9 933 entreprises se partage 372 millions d’euros pour rémunérer leurs 180 000 salariés. Ces deux derniers mois, 14 728 demandes sont parvenues au ministère du Travail. Environ 27 % des entreprises du pays sont à l’arrêt.
En mal de liquidités, les entreprises préfèrent demander aux banques un moratoire sur les crédits en cours au lieu de contracter un nouvel emprunt en pleine crise sanitaire. Selon les chiffres du ministre de l’Économie, les banques de la place luxembourgeoise ont déjà accordé 7 000 moratoires de 6 mois sur les remboursements des prêts existants pour une valeur cumulée supérieure à 2 milliards d’euros. La crise s’annonce grave avec un chômage en hausse de 17,4 % et des secteurs comme l’automobile complètement paralysés. Les économistes du pays estiment que le PIB luxembourgeois pourrait chuter de 5 % en 2020.
La logistique, un enjeu majeur
Au cœur de cette crise inédite, le secteur de la logistique devient vital pour lutter contre le Covid-19. Il faut en effet pouvoir acheminer, recevoir et stocker le matériel sanitaire. Au Grand-Duché, Cargolux, Cargocenter et CFL multimodal sont sur le pont. Cargolux, tout d’abord, a effectué durant cette crise sanitaire le transport de matériaux de première nécessité dans le monde entier. Et grâce au pont aérien reliant le Luxembourg à la Chine, l’entreprise a livré 768 tonnes de matériel médical au Luxembourg, soit 10 avions-cargos de type Boeing 747.
Gros plan ensuite sur CFL multimodal, qui assure «le stockage et le transport de matériel médical pour le compte de l’État luxembourgeois» : quelque 2 000 palettes sont stockées dans les entrepôts du parc logistique Eurohub Sud. «D’un côté, des semi-remorques effectuent la navette entre l’aéroport et l’entrepôt de CFL multimodal selon les arrivages des avions», détaille un communiqué qui poursuit : «De l’autre, des petits porteurs assurent l’approvisionnement des centres de soin en masques, blouses et lunettes de protection, gants, surchaussures, etc.» Certains employés de l’entreprise ont même été détachés à la cellule de crise de l’État dans l’équipe logistique et achats.
Mai
Place à la relance
Près de deux mois après le lancement d’un programme massif de stabilisation de l’économie nationale d’un montant de 8 milliards d’euros, le gouvernement présente une série de mesures pour un «nouveau départ» : «Neistart Lëtzebuerg». Elles coûteront à l’État de 700 à 800 millions d’euros.
Aide aux secteurs économiques les plus touchés, soutien à l’emploi, relance de l’économie dans une optique de durabilité : tels sont les trois axes des 23 mesures présentées par Pierre Gramegna, le ministre des Finances, Dan Kersch, le ministre du Travail et de l’Emploi, et François Bausch, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics. Car le tableau de la crise due à l’épidémie du Covid-19 n’est pas reluisant : recul du PIB de 6 % en 2020 à peine compensé par un rebond de 7 % en 2021. Alors l’État met le paquet pour soutenir l’économie : avec ces mesures supplémentaires, ce sera au total 3 milliards d’euros que l’État aura dépensés directement. Et le ministre des Finances se félicite de la présence d’une place financière toujours vaillante qui est aujourd’hui une «partie de la solution», alors qu’elle faisait partie du problème pendant la crise de 2008.
Juin
Un magot à dépenser
Pendant le confinement, les Luxembourgeois ont peu dépensé. Ils ont par conséquent épargné malgré eux. Ce «magot» n’est pas insignifiant : les dépôts à vue ont augmenté de 3,2 % au mois de mars et 2,3 % en avril. «Une telle hausse des dépôts n’avait pas été observée depuis dix ans. Cette épargne constitue un potentiel de rebond», note le Statec, qui prévient toutefois : «le risque que cette épargne se transforme en épargne de précaution» est élevé.
Dans le détail, les dépôts à vue des ménages résidant au Luxembourg ont augmenté de 1,4 milliard d’euros entre mars et mai, soit 850 millions de plus «que la normale» si l’on considère la tendance moyenne constatée lors des 12 mois précédant le confinement. Certains économistes veulent y voir un signe positif dans une situation de relance économique à condition que le consommateur reprenne goût à l’achat et surtout qu’il soit dans la capacité de le faire.
Juillet
La 5G devient une réalité
Le nouveau standard de téléphonie mobile devient doucement une réalité au Luxembourg. À la mi-juillet, les enchères pour l’attribution des fréquences de la bande des 700 MHz et de la bande des 3 600 MHz, qui serviront au déploiement de la 5G dans le pays, sont lancées. Quatre opérateurs décrochent des fréquences pour un peu plus de 41 millions d’euros. Dès octobre, Post annonce la disponibilité de la 5G dans la capitale. Tango lui emboîte le pas quelques jours plus tard. Orange suivra le mois suivant. Mais entre-temps, la 5G continue de faire naître des inquiétudes. Le collectif Stop5G Luxembourg, qui a réussi à interpeller les députés et le Premier ministre Xavier Bettel par le biais d’une pétition, n’arrive pas stopper le déploiement de cette nouvelle technologie malgré plusieurs actions et des conférences sur ses éventuels dangers.
Autre préoccupation, le fournisseur technologique. Le chinois Huawei, de plus en plus contesté et accusé de récolter des données sensibles par le biais de sa technologie 5G pour le compte du gouvernement chinois, n’est pas retenu par les opérateurs télécoms au Luxembourg. Ces derniers misent sur les scandinaves Nokia et Ericsson pour déployer la 5G mais également remplacer et moderniser les installations déjà existantes pour la 2G, la 3G et la 4G.
Août
Guardian : le plan social évité
C’était la crainte des syndicats depuis plusieurs semaines : la direction de Guardian Luxembourg annonce sa volonté de couper dans ses effectifs en se séparant de 44 % de sa main-d’œuvre au Grand-Duché après l’arrêt du four de Dudelange. Plus précisément, 201 personnes sur 450 se trouvent dans l’incertitude. Commence alors un long bras de fer entre les syndicats et la direction du groupe américain. Ce dernier semble vouloir presser le pas et clôturer le dossier rapidement, trop rapidement. Du côté des syndicat et plus particulièrement de l’OGBL, on réclame du temps pour mettre en place un plan de maintien dans l’emploi afin de pouvoir limiter la casse en utilisant l’ensemble des outils sociaux disponibles dans le pays comme les préretraites, le prêt de main-d’œuvre, le reclassement ou encore les départs volontaires.
Pendant plusieurs semaines, syndicats et direction se renvoient la balle. Au fur et à mesure des négociations, le nombre de salariés possiblement concernés se réduit. Dans un premier temps, le plan de maintien dans l’emploi fait passer la casse sociale de 201 personnes à une quarantaine.
Dès lors, Guardian décide d’accélérer dans le dossier en se dirigeant vers un plan social avec le contingent restant. Là encore, les syndicats, OGBL en tête, ne veulent pas en entendre parler. Après des négociations tendues, c’est devant l’Office national de conciliation que les divers acteurs se retrouvent, sans succès. Le 25 novembre, l’OGBL déclare avoir reçu le feu vert des salariés pour passer à l’étape supérieure : la grève. Cinq jours plus tard, Guardian et les syndicats annoncent un dénouement-surprise avec la suspension de toute volonté de licenciement sec au sein du groupe américain spécialisé dans la fabrication du verre au Luxembourg. Le pire a été évité après plusieurs semaines de négociations intensives.
Pour revenir au mois d’août, les syndicats peuvent également fêter une autre victoire, puisque les délégations du personnel des cinq entités SES et la direction signent un plan de maintien dans l’emploi (PME) pour une durée de deux ans avec les syndicats LCGB et OGBL. Cette signature met fin à la volonté de la société de mettre en place un plan social visant à se séparer de presque 10 % des contrats de travail.
Au niveau de l’emploi, le nombre de résidents en recherche d’emploi inscrits à l’Adem s’établit à 19 762 au 31 juillet. Sur un an, cela constitue une hausse de 4 094 personnes, soit un bond de 26,1% évidemment directement lié à la crise du Covid-19.
Septembre
Une tripartite dans l’acier
Après Guardian, c’est ArcelorMittal, le cinquième plus grand employeur privé du pays, qui annonce vouloir faire des coupes dans ses effectifs. Mais contrairement à Guardian, le géant de l’acier se tourne vers une tripartite avec les syndicats et le gouvernement pour trouver une solution «douce». En effet, le sidérurgiste souhaite se séparer de 536 postes de travail, soit une réduction de 15 % de ses effectifs. Les négociations dans la tripartite débouchent sur un accord de principe sur cinq ans avec aucun licenciement sec et la promesse d’investir plus de 165 millions d’euros dans les sites de production luxembourgeois afin de les pérenniser. ArcelorMittal se sépare tout de même de plus de 500 salariés par le biais des outils sociaux à sa disposition. Ainsi, 237 personnes vont partir en préretraite ajustement et 280 salariés vont rejoindre la cellule de reclassement afin, entre autres, d’être réaffectés au sein du groupe.
Octobre
Luxair dans la tourmente
Après l’industrie lourde, c’est au tour de l’aviation de se tourner vers l’État et les syndicats pour trouver des solutions. La compagnie aérienne nationale, Luxair, lourdement touchée par la pandémie de coronavirus, trouve un accord de principe avec le gouvernement et les syndicats pour un plan de maintien de l’emploi concernant 20 % de ses effectifs. L’État va débloquer une enveloppe de quelque 50 millions d’euros. Le verdict est tombé. Contrairement aux attentes, la situation du secteur de l’aviation civile ne s’est pas améliorée en ce début d’automne. Déjà handicapé par des problèmes structurels, Luxair se voit désormais confronté à un marché en chute libre. Les prévisions pour les mois d’octobre, novembre et décembre ont dû être drastiquement revues à la baisse. En cause: le sentiment d’insécurité qui prévaut toujours parmi les voyageurs et les fermetures de frontières décrétées une nouvelle fois par certains pays.
Début octobre, la tripartite aviation se réunit pour la troisième fois depuis le début de la crise sanitaire. Assis à côté du ministre de la Mobilité, François Bausch, le directeur général de Luxair, Gilles Feith, affiche un visage sombre. Et pour cause. La compagnie aérienne nationale se voit en cette période de crise forcée de supprimer 600 emplois. Seule nouvelle positive : il n’y aura aucun licenciement sec. Avec le gouvernement et les syndicats, un accord de principe sur un plan de maintien dans l’emploi a pu être conclu. Il aura une durée de trois ans.
Entre préretraite et reclassement
La moitié des salariés concernés sera transférée dans la cellule de reclassement, où des formations seront proposées afin de leur permettre de retrouver un emploi durable. Le prêt temporaire de main-d’œuvre fait partie des outils pour recaser les salariés. L’autre moitié va bénéficier de mesures de préretraite. Des réaffectations en interne ne sont pas exclues. La possibilité de transférer des pilotes de Luxair vers Cargolux est une autre option envisagée. L’État va débourser quelque 50 millions d’euros sur les trois ans à venir afin de financer le plan de maintien de l’emploi. Les actionnaires de Luxair devront à leur tour décider des prochains investissements à effectuer. À noter que lux-Airport, l’exploitant de l’aéroport de Luxembourg, et Cargolux, la compagnie de fret aérien, se portent mieux. Aucune coupe des effectifs n’est prévue pour l’instant.
Novembre
Une hausse du SSM qui passe mal
Le Premier ministre, Xavier Bettel, annonce une augmentation du salaire social minimum (SSM) de 2,8 % dès le 1er janvier 2021. Si cette augmentation était mécaniquement prévue avant même la crise sanitaire, cette décision a fait sortir de ses gonds le patronat. Ce dernier fustige cette décision alors que la crise du moment a fait perdre, selon l’UEL, 7 % de PIB. Selon le Statec et Eurostat, le PIB luxembourgeois a diminué de 2 % sur les neuf premiers mois et l’«annus horribilis» 2020 se solderait in fine par une récession de 1,7 %. L’UEL met en outre en exergue qu’en 20 ans le SSM a augmenté de 70 %. «Un dérapage préoccupant, d’autant plus que le SSM est totalement déconnecté de la réalité du marché de l’emploi de nos pays limitrophes et même de l’ensemble des pays européens», selon le patronat.
Décembre
Une année électrique
En 2019, seulement 844 voitures 100 % électriques ont été immatriculées par 14 marques différentes. Cette année, on en a dénombré, début décembre, déjà 1 726 et 27 marques automobiles sont concernées. Les nouvelles immatriculations de voitures électriques représentent 4,5 % des nouvelles plaques jaunes du pays. Il a fallu une décennie pour atteindre ce niveau, puisque en 2011 le parc automobile luxembourgeois comptait une seule voiture électrique selon les données du Statec. Les hybrides sont passées de 5,7 % à 13,4 % de parts de marché. Au total, les véhicules électriques représentent 18,4 % du marché automobile au Luxembourg.