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Qui sont les champions européens de la grève ?


Le 11 janvier, des Gilets jaunes se joignent aux grévistes d'un magasin Castorama dans le nord de la France. L'Hexagone figure parmi les pays les plus grévistes en Europe. (Photo: AFP)

Les Français sont-ils les champions européens de la grève comme le veut une idée bien reçue? Où serait-ce plutôt les Chypriotes ou les Danois? La réponse est complexe, car les méthodes de comptage varient d’un pays à l’autre. Seule certitude: au Luxembourg la grève est l’exception.

« Les Français sont râleurs et préfèrent faire grève plutôt que négocier des compromis. Ils sont d’ailleurs de loin les champions de la grève en Europe…» : ce jugement déjà bien répandu au Luxembourg gagne encore en vigueur avec le mouvement des «gilets jaunes». Relève-t-il pour autant du cliché ou de la réalité?

Un peu des deux, est-on tenté de répondre quand on se penche sur les diverses statistiques comparant le nombre de jours de grève par pays en Europe ou entre les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

À en croire l’Institut de recherche économique (IW), basé à Cologne, les Français occupent bien la première marche du podium. Selon des chiffres portant sur la période 2007 à 2016, l’IW, réputé proche des syndicats, estime que la France a enregistré 123 jours ouvrables perdus par 1 000 travailleurs. Le Danemark est deuxième (118), le Canada troisième (87) et la Belgique quatrième (79). Lors de sa publication en 2017, ce classement avait fait les choux gras de la presse économique hexagonale qui y trouvait la confirmation des critiques patronales à l’égard des syndicats.

Chypre surclasse tous les autres pays

Mais les résultats de l’IW sont contredits par une autre étude, publiée elle par l’ETUI, l’Institut syndical européen, un centre de recherche attaché à la Confédération européenne des syndicats (CES). Selon des chiffres portant cette fois sur une période allant de 2005 à 2014, c’est Chypre qui arrive largement en tête avec plus de 2 000 jours ouvrables perdus pour 1 000 salariés, très loin devant la France, le Danemark et la Belgique (voir graphiques ci-dessous).

 

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D’autres études publiées au fil des ans montrent des résultats sensiblement différents, mais avec peu ou prou les mêmes pays dans le haut du classement. À noter que le Danemark, la Norvège et la Finlande, pays scandinaves réputés pour leur modèle social, figurent parmi les pays les plus grévistes en Europe.
Les périodes de référence jouent incontestablement un rôle dans ces variations, certains pays enregistrant de forts écarts d’une année à l’autre depuis la crise de 2008, caractérisée par la mise en œuvre de politiques d’austérité et de l’offre qui provoquent parfois de soudaines éruptions sociales. En Allemagne, pays habituellement peu gréviste, 2015 fut ainsi une année chargée en arrêts de travail, les mouvements sociaux à la Poste, chez Deutsche Bahn ou Lufthansa ayant fait exploser les compteurs.

Non-grévistes comptés comme grévistes

Mais les variations sont avant tout le fait des sources. Dans son étude de 2017, l’IW de Cologne mettait d’ailleurs en garde contre la difficulté à dresser des comparaisons entre pays. Car ce qui est vrai par exemple en France ne l’est pas forcément en Espagne où les jours de grève générale ne sont pas comptabilisés. En Allemagne, les débrayages de quelques heures ne sont pas pris en compte, tandis qu’aux États-Unis, ce sont les mouvements rassemblant moins de 500 personnes qui ne sont pas pris en compte. D’autres pays considèrent en revanche comme grévistes les salariés non-grévistes empêchés de travailler en raison d’une grève… Et pour compliquer encore un peu les choses, dans certains pays, la méthode de calcul change régulièrement.

Prudente, l’Organisation internationale du travail (OIT) publie dans ses statistiques plusieurs chiffres pour nombre de pays, tenant compte de ces modifications de méthodologie.

Pas facile donc d’y retrouver ses petits. Ce qui est en revanche plus sûr, c’est que le Luxembourg figure dans le bas du classement. Ainsi la grève de onze jours à la maison de soins de Bettembourg en juin 2018 est-elle un épisode exceptionnel et il faut remonter à 2014 pour trouver une autre grève, celle de trois jours qui avait touché l’ACL.

La culture luxembourgeoise du dialogue social, qui fait de la grève le recours ultime en cas de conflit, y est pour beaucoup, alors qu’en France elle est souvent le seul moyen pour amener les patrons à la table des négociations. Les taux de syndicalisation enregistrés dans chaque pays expliquent en partie ce phénomène. Avec 41 % de salariés syndiqués au Luxembourg, le poids des syndicats est bien plus significatif qu’en France où seuls 8 % des salariés adhèrent à des syndicats qui sont dès lors plus enclins à déclencher des grèves pour être pris au sérieux.

Défendre les droits acquis

De façon générale en Europe, les grèves deviennent moins fréquentes. C’est le constat dressé en 2016 par Kurt Vandaele, un chercheur de l’ETUI, dont les calculs montrent que «la moyenne des jours non travaillés au cours de la période 2005-2014 était de 50 pour 1 000 salariés, soit environ 10 jours de moins qu’au cours de la période 1995-2004».

Avec la multiplication des chaînes d’info en continu et l’omniprésence d’internet qui relaient abondamment les mouvements, cette baisse ne va pas de soi. «Contrairement à l’image souvent véhiculée par les médias de masse, les syndicats ont de moins en moins souvent recours à l’arme de la grève», écrit Kurt Vandaele.
Le chercheur distingue également un changement sur le fond quant aux motivations des grévistes : «Alors que jusque dans les années 70, l’action syndicale prenait la forme de grèves revendicatives souvent déclenchées au niveau même de l’entreprise, de nos jours les syndicats privilégient les rassemblements de masse limités dans le temps dont l’objectif est de défendre les droits acquis plutôt que d’en obtenir de nouveaux.»

Sur ce point, le Luxembourg semble encore faire exception. Les récentes annonces gouvernementales d’une réduction du temps de travail par l’octroi d’un jour férié supplémentaire le 9 mai ou la gratuité des transports publics sont des acquis nouveaux, obtenus notamment sous la pression des syndicats.
Et cela sans un jour de grève.

Fabien Grasser