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Projet américain de loi anti-Opep : une arme à double tranchant


L'idée est d'abaisser in fine le prix de l'essence à la pompe. L'Opep, et son chef de file l'Arabie saoudite, sont directement visés. (illustration AFP)

Aux États-Unis, des parlementaires ont récemment remis sur la table un projet de loi visant à empêcher l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) d’influencer les cours de l’or noir mais qui risque aussi de provoquer de forts remous géopolitiques et financiers.

Une loi contre les cartels. Le projet de loi baptisé « No Oil Producing and Exporting Cartels Act of 2019 » ou NOPEC a été déposé la semaine dernière à la fois devant la Chambre des représentants et devant le Sénat. Aucune date n’a encore été fixée pour son examen en séance plénière. Cette loi, si elle était adoptée, permettrait aux autorités américaines de poursuivre tout groupe de pays s’accordant pour influencer les prix du pétrole en ajustant leur production. L’idée est d’abaisser in fine le prix de l’essence à la pompe.

L’Opep, et son chef de file l’Arabie saoudite, sont directement visés. Le cartel a notamment décidé fin 2016, en association avec plusieurs pays partenaires dont la Russie, de s’imposer des quotas pour redresser les cours de l’or noir. Le secrétaire général de l’organisation, Mohammed Barkindo, a toutefois soutenu lundi que « l’Opep (n’était) pas un cartel » et « (n’interférait) pas avec la manipulation des prix du pétrole », selon des propos rapportés par l’agence Bloomberg.

Vieux serpent de mer. Proposé pour la première fois en 2000, le projet de loi NOPEC réapparaît depuis par intermittence au Congrès américain malgré l’opposition de la Chambre américaine de commerce et de la fédération du secteur pétrolier API. Il n’a toutefois jamais été adopté. Les présidents républicain George W. Bush et démocrate Barack Obama ont toujours averti qu’ils y mettraient leur veto.

Un moyen de pression. Le projet de loi apporte à l’administration américaine « un moyen de pression important si les prix devaient grimper », estimaient récemment dans une note les analystes de Barclays. Il pourrait aussi fournir « des options législatives pouvant être considérées comme des sanctions au regard du meurtre de Jamal Khashoggi (journaliste saoudien), des tensions entre la Russie et l’Ukraine et des arrangements que l’Opep et ses partenaires pourraient envisager le mois prochain à Bakou », relevaient-ils. Le cartel et ses partenaires doivent discuter en Azerbaïdjan d’éventuels ajustements à l’accord les liant. Donald Trump appelle régulièrement l’Opep, parfois vertement, à ouvrir plus grand les vannes.

Contrecoup risqué sur les marchés. Si le texte devait être adopté, le cartel –Arabie saoudite en tête– « n’aurait alors plus aucun intérêt à se réserver une marge de manoeuvre en cas de troubles », souligne James Williams de WTRG Economics. L’Opep maintient en effet depuis plusieurs décennies de quoi augmenter rapidement sa production pour pouvoir maintenir l’offre d’or noir sur le marché mondial, et Ryad est plusieurs fois monté au créneau pour éviter une flambée des prix, au moment des guerres en Irak ou des combats en Libye par exemple. Mais c’est coûteux.

Or sans ce coussin de sécurité, « les prix fluctueront au moindre problème », affirme James Williams. Le ministre saoudien de l’Énergie, Khaled al-Faleh, a d’ailleurs averti dans une interview au Financial Times mardi que le monde souffrirait « de façon irréparable » si son pays n’avait plus les capacités d’ajuster rapidement ses extractions et qu’une telle loi serait « néfaste » pour l’économie mondiale.

Éventuelles répercussions géopolitiques. « Toute loi NOPEC soulève le problème des relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite », rappelle Harry Tchilinguirian de BNP Paribas. Certes les États-Unis, grâce à l’essor du pétrole de schiste, sont désormais moins dépendants des importations de pétrole. Mais Ryad reste « la pierre angulaire de la politique étrangère de Donald Trump au Moyen-Orient, en particulier pour tout ce qui concerne l’Iran », ajoute-t-il. Et le royaume est un important acheteur d’armes américaines.

Par ailleurs, « si les prix du pétrole descendaient trop, les revenus des pays du Moyen-Orient chuteraient d’autant et leur population pourrait de nouveau manifester son mécontentement comme lors du Printemps arabe », remarque James Williams. Pour tous ces risques économiques et géopolitiques, l’administration américaine n’aurait pas intérêt, selon lui, à promulguer le texte. Mais, ajoute-t-il, « avec ce président, on n’est jamais certain de rien ».

LQ/AFP