Les mesures prévues pour atténuer l’explosion des prix de l’énergie ne font pas l’unanimité au Parlement. Les partis de l’opposition n’ont pas réussi à convaincre la majorité à faire des efforts supplémentaires.
Ce sont clairement deux camps qui se sont affrontés, jeudi après-midi, à la Chambre. Le fait qu’aucun des intervenants lors du débat sur la précarité énergétique n’a nié l’urgence d’agir («Personne ne doit se retrouver dans le froid») ne change rien puisque l’opposition et la majorité n’ont pas su trouver de dénominateur commun pour venir en aide aux ménages et personnes les plus vulnérables.
Tout d’abord les chiffres, avancés par Gilles Roth (CSV), l’initiateur de cette heure d’actualité. Entre novembre 2020 et novembre 2021, toutes les énergies fossiles ont connu une hausse vertigineuse : +45 % pour l’essence, +50 % pour le diesel et +108 % pour le mazout de chauffage. «Cela représente respectivement un surplus de 24 euros pour un plein d’essence et de 23 euros pour un plein de diesel», avance le coprésident de la fraction chrétienne-sociale. Il reprend le calcul fourni par l’Automobile Club du Luxembourg : pour une voiture qui consomme 6 litres au 100 km et qui roule 20 000 km par an, la facture augmente de 596 euros en essence et 559 euros en diesel.
Gilles Roth évoque aussi les coûts de chauffage. Sur les 265 000 ménages que compte le Luxembourg, 54 218 continueraient à chauffer au mazout (22 %). S’y ajoutent 90 000 ménages chauffant avec du gaz (33 %). Une cuve de 2 100 litres de mazout coûte en ce mois de novembre 867 euros de plus qu’il y a douze mois.
«Nous sommes champions d’Europe. Nous n’avons toutefois rien gagné. Nous ne sommes que perdants», résume de son côté Fred Keup. Le député de l’ADR vient fustiger le fait que le Luxembourg figure en tête des pays de l’UE à avoir connu la plus importante hausse des prix de l’énergie. «La situation sur les marchés mondiaux ne suffit pas pour expliquer cette explosion des prix», martèle l’élu. La hausse des coûts à supporter par un «simple» ménage pour rouler et se chauffer se chiffrerait à plusieurs milliers d’euros par an.
«Le gouvernement n’apporte aucune réponse aux questions substantielles qui se posent actuellement. Il s’agit d’un échec sur toute la ligne», renchérit Gilles Roth. Des propos moins durs ont été tenus par Myriam Cecchetti (déi Lénk) et Marc Goergen (Parti pirate). Tous les partis de l’opposition étaient toutefois d’accord, jeudi, pour dire que les mesures prises par la majorité ne suffisent pas à atténuer l’effet de la flambée des prix de l’énergie.
La contre-attaque de la majorité
Les représentants de la coalition sont venus contrer les critiques émises. La hausse de l’allocation de vie chère d’un minimum de 200 euros par mois à partir du 1er janvier 2022 a été mise en avant tout comme l’indexation tombée au 1er octobre dernier (+2,5 % des revenus) et la réindexation rétroactive des allocations familiales. La compensation sociale de la taxe carbone a aussi été citée par le trio Max Hahn (DP), Georges Engel (LSAP) et François Benoy (déi gréng).
En outre, les trois partis formant la majorité ont appelé le gouvernement à analyser si des «mesures ciblées supplémentaires» doivent être prises pour soulager les ménages à faible revenu. Cette motion a uniquement trouvé le support de déi Lénk et des pirates. «C’est mieux que rien», est sobrement venu constater Sven Clement.
David Marques
La taxe carbone, le principal fautif de l’explosion des prix ?
Pour l’ADR, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : la taxe carbone, introduite début 2021, ne fait qu’accentuer l’explosion des prix énergétiques. Une frange de la population est du même avis, si l’on se réfère aux commentaires à lire ici et là sur les réseaux sociaux. L’Automobile Club du Luxembourg (ACL) et l’Union des consommateurs (UCL) se sont aussi rués sur cette taxe qui doit augmenter début 2022 de 20 à 25 euros par tonne de CO2 émise. Avec quel impact sur le prix des carburants?
Il est connu que l’imposition du CO2 à la pompe représente cette année entre 5 et 6 centimes d’euro par litre de carburant. Environ un centime d’euro supplémentaire devrait venir s’ajouter l’année prochaine. «Sur un plein de 50 litres au prix de 1,5 euro le litre, la taxe carbone représente à peine 3 euros des 75 euros qui sont à débourser», est venu calculer, hier, le député Max Hahn (DP).
Selon nos confrères de RTL 5minutes, l’augmentation en 2022 sera plus précisément de 1,41 centime d’euro par litre pour l’essence, de 1,26 pour un litre de diesel et 1,52 centime pour un litre de mazout.
Une très large majorité de la Chambre a été d’accord hier pour souligner que ce n’est pas la taxe carbone qui est le principal fautif dans la hausse récente des prix de carburant.
Le CSV plaide pour l’indexation de la taxe CO2
Gilles Roth (CSV) se trouve à la base de l’heure d’actualité sur la précarité énergétique. Lors de son exposé, le député-maire de Mamer a avancé une large panoplie de chiffres venant illustrer l’explosion des prix énergétiques, le carburant et le gaz en tête. Par contre, l’élu du CSV n’a pas soumis de propositions concrètes sur comment atténuer cette hausse des prix. Du moins dans un premier temps. Il a en effet attendu la discussion sur les motions, introduites par les trois autres partis de l’opposition, pour souligner que le CSV est en faveur d’une indexation de la taxe carbone. «L’imposition des émissions de CO2 amène forcément une hausse des prix de l’énergie. Il est donc justifié que la taxe carbone soit indexée», argumente Gilles Roth. Un report, voire une suppression, de la taxe carbone, comme le revendique l’ADR, n’obtient pas le soutien du camp chrétien-social. «Nous tenons notre engagement de soutenir une taxation progressive du CO2», souligne le député.
La fraction du CSV s’est aussi positionnée en faveur d’une augmentation supplémentaire de l’allocation de vie chère, tout comme le versement d’une avance sur l’allocation qui sera versée en 2022. Les motions introduites par l’ADR et déi Lénk, finalement rejetées, ont obtenu l’aval des élus chrétiens-sociaux. Comment ? «Nous sympathisons avec le contenu de la motion de l’ADR. La proposition de verser une avance est justifiée, car les gens les plus vulnérables sont déjà aujourd’hui confrontés à la hausse des prix. Le gouvernement est invité à inventer un système pour verser une avance en collaborant avec les offices sociaux et les communes. Le Syvicol est aussi appelé à agir», avance Gilles Roth. Cette «invention» devrait se faire à court terme, de préférence avant les fêtes de fin d’année, réclame encore le coprésident de la fraction chrétienne-sociale.
ADR : «Supprimer la taxe carbone»
Il était au tour de Fred Keup (ADR) de venir dénoncer, jeudi, «l’idéologie verte» qui ne ferait que pénaliser les ménages, surtout ceux habitant dans les zones rurales et qui sont fortement dépendants de leur voiture pour se déplacer. Miser exclusivement sur l’énergie renouvelable et l’électromobilité feraient partie des «erreurs» de la politique énergétique menée par le gouvernement en place.
Le parti réformateur veut «simplement supprimer» la taxe carbone, introduite le 1er janvier de cette année. La tentative de trouver un compromis en proposant un gel de la taxe pour 2022 n’a pas été couronnée de succès. Une motion allant dans ce sens a été rejetée par les 56 députés de la majorité et des trois autres partis de l’opposition.
Parmi les autres propositions de l’ADR pour lutter contre la précarité énergétique figure l’application du taux de TVA réduit de 3 % sur le mazout, une avance de 25 % de l’allocation de vie chère, à verser dans les meilleurs délais aux ménages concernés ou encore le renforcement conséquent des réserves en gaz et pétrole.
L’ADR est aussi en faveur d’une indexation intégrale des prix de l’énergie.
Déi Lénk : «Mettre fin aux coupures»
Selon les chiffres fournis par l’Institut luxembourgeois de régulation (ILR), ce sont 52 ménages qui – en raison du non-paiement répété de leurs factures – ont été déconnectés courant 2020 de la fourniture de gaz. S’y ajoutent 771 ménages qui se sont vu couper l’électricité. Ces chiffres alertent déi Lénk qui a introduit, jeudi, une motion pour appeler le gouvernement à «interdire les déconnexions de gaz naturel et d’électricité aux consommateurs vulnérables».
L’initiative de la députée Myriam Cecchetti n’a pas eu le don de convaincre les trois fractions de la majorité gouvernementale. Le caractère sensible de la question a toutefois amené Carlo Back (déi gréng) à soumettre à la Chambre la proposition de renvoyer la motion en commission parlementaire. Une prochaine réunion de la commission de l’Énergie doit permettre d’évaluer plus en détail si le cadre légal actuel protège vraiment les plus vulnérables de se voir couper l’électricité ou le gaz.
Mettre en suspens les déguerpissements de locataires jusqu’au 30 avril 2022 est une autre initiative de déi Lénk, qui a été rejetée par une très large majorité de 56 députés.
Le dividende CO2 du Parti pirate
Marc Goergen est venu rappeler, jeudi, à la tribune de la Chambre le plein soutien du Parti pirate à la taxation des émissions de gaz à effet de serre. La taxe carbone choisie par le gouvernement irait toutefois dans la mauvaise direction. Au lieu de taxer la tonne de CO2 émise, il serait plus équitable d’introduire un dividende CO2. Plus concrètement, les pirates veulent accorder à chaque ménage un crédit de 5 tonnes de CO2 qui ne ferait l’objet d’aucune taxation. «Il s’agit d’un quota suffisant pour assurer le besoin énergétique moyen d’un ménage», argumente Marc Goergen. L’émission de toute tonne de CO2 supplémentaire devrait, par contre, être taxée.
En outre, le Parti pirate plaide pour l’introduction d’une vignette CO2 pour tous les véhicules circulant sur le territoire luxembourgeois, y compris donc les navetteurs et le transit. Le prix de cette vignette devrait s’orienter à la motorisation des véhicules. «Les grosses cylindrées telles que les SUV (NDLR : ou 4×4) seront à taxer plus sévèrement que les véhicules moins polluants», note Marc Goergen.
La taxation du kérosène est une autre proposition des pirates.
D.M