Les agriculteurs bio, qui se désolent de voir l’inflation affecter depuis deux ans leurs ventes au risque de mettre en danger certaines exploitations, espèrent que particuliers et collectivités vont reprendre leurs achats et misent sur une meilleure communication.
Dans les allées du salon Tech & Bio à Bourg-lès-Valence (Drôme), qui réunit mercredi et jeudi des milliers de cultivateurs, éleveurs, fournisseurs et chercheurs autour du bio, tous constatent douloureusement l’impact de l’inflation sur le portefeuille des ménages.
Réputés plus chers, concurrencés par des labels aux critères moins exigeants ou les produits locaux, les aliments bio ont vu leurs ventes reculer de près de 5% en 2022. Et les cantines, hôpitaux ou cafétérias d’entreprises sont souvent loin de l’objectif fixé par la loi de 20% de bio dans la restauration collective.
Les nombreuses conversion d’exploitations vers ce mode de production sans engrais ni pesticides de synthèse ont également conduit, pour certaines productions comme le lait, à un goulot d’étranglement.
Cuisiner les lentilles
« On n’a pas le droit de laisser tomber le bio comme on le fait actuellement », s’indigne cependant Loïc Guines, producteur laitier en Ille-et-Vilaine et président de l’Agence bio. Comme la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB), il en appelle à une simplification des critères d’attribution des 60 millions d’euros débloqués en urgence en mai par l’Etat même si, relève-t-il, « la meilleure aide serait de relancer la consommation ».
Selon un baromètre réalisé par l’Agence bio auprès de 11 625 producteurs bio, vendre au juste prix leur production (55%) et renforcer l’information du grand public sur l’agriculture biologique (51%) apparaissent comme leurs priorités, devant le renforcement des aides (46%) et la baisse des charges (40%). « On a fait la preuve, avec la campagne +Bio Réflexe+, qu’on a (…) les messages clés qui mettent tout le monde d’accord » avec un « impact commercial positif », relève Laure Verdeau, directrice de l’Agence bio.
Comme l’Ademe a accompagné la transition énergétique en répétant aux Francais qu’il faut éteindre la lumière et trier les déchets, il s’agit d’expliquer la transition alimentaire, apprendre à moins gaspiller, acheter de saison ou préparer des lentilles, explique la responsable. Et non plus seulement communiquer sur le bio en stigmatisant le conventionnel. Mais les moyens manquent: l’Agence bio dispose d’un budget annuel de communication, hors coups de pouces exceptionnels, d’un demi-million d’euros quand les interprofessions du lait ou de la viande disposent de plusieurs dizaines de millions, regrette Laure Verdeau.
« Ca sert à quoi ? »
« Le consommateur, s’il n’a pas d’argent, il fait comment? », nuance toutefois Louis de Martene. A Estrablin dans l’Isère, avec son père Pierre de Martene et sa compagne Romane Bourdon, ils ont entamé la conversion de leur exploitation de grandes cultures en 2020 et pensaient pouvoir profiter à plein de prix bio plus élevés à la fin de l’opération, cette année.
« Le prix du blé bio est passé de 380 euros la tonne à environ 240 euros actuellement [environ au même niveau que le blé conventionnel], pendant que le prix des engrais a été multiplié par quatre », souffle Louis de Martène. « Si on ne peut pas en vivre, ça sert à quoi de faire du bio? » Hugo Mestre, qui cultive des pommes avec son père à Cavaillon (Vaucluse), a lui passé une partie de son exploitation en bio en 2017, au moment où la demande était forte. L’an dernier, il a vendu la moitié de ses pommes bio en conventionnel.
Pour passer le cap de la crise, il espère que les trois variétés de pommes bio qu’ils ont sélectionnées vont dégager des rendements s’approchant du conventionnel et mise sur la baisse des coûts de production, notamment avec la mécanisation. Mais il aimerait aussi que « les consommateurs prennent conscience de l’importance de consommer bio, et français ».
Franck Soury-Lavergne, maraîcher bio en Nouvelle-Calédonie, n’a pas les mêmes problèmes. Dans cet archipel du Pacifique, « on n’a que 2% de l’offre en bio, on est encore en phase de développement », explique-t-il. Mais avec dix ans de recul sur le bond du bio en métropole, « on va essayer de ne pas refaire les mêmes erreurs ».