« On a des commandes jusqu’à mi-2023, mais aura-t-on de quoi les remplir? », s’interroge le responsable export d’une usine d’assemblage de vélos du nord du Portugal, leader européen d’un secteur qui s’efforce d’accompagner l’explosion de la demande provoquée par la crise sanitaire.
Le cas de l’entreprise InCycles, un des fleurons du « cluster » de la bicyclette regroupé autour de la ville d’Agueda, témoigne de la « success story » d’une filière en plein essor mais qui, dans le même temps, souffre des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement mondiale.
Avec la pandémie et ses confinements, « les gens se sont battus pour avoir des vélos, donc on en a vendu beaucoup », explique Filipe Mota au milieu des quatre lignes de montage où près de 200 travailleurs aux gestes précis assemblent des bicyclettes pour une quarantaine de marques. Mais, précise-t-il à l’AFP, ce « boom de commandes » a provoqué « un manque de pièces très important, avec des délais de livraison qui peuvent aller jusqu’à deux ou trois ans » de la part des fournisseurs de composants, majoritairement asiatiques.
Quand cette entreprise a commencé à assembler les vélos en libre service d’Uber, sous l’enseigne Jump entre-temps reprise par Lime, son chiffre d’affaires a bondi: d’environ 3 millions d’euros en 2018 à quelque 50 millions d’euros en 2019. Depuis, la pandémie de Covid-19 a provoqué une chute de ses recettes à environ 37 millions d’euros en 2020, un niveau auquel elles devraient stagner cette année.
« Entreprises de pointe »
« Si on avait les pièces, on aurait fait facilement 60 ou 70 millions d’euros », assure M. Mota en précisant que l’usine inaugurée l’an dernier pouvait assembler jusqu’à 250.000 vélos par an, mais bouclera 2021 à près de 140.000 unités. D’après les prévisions des experts, ces problèmes logistiques devraient se résorber d’ici 2023 et le « cluster » portugais, comptant quelque 8.000 emplois directs, entend bien tirer son épingle du jeu.
Depuis que l’association nationale du secteur des deux roues, Abimota, a lancé en 2015 un programme d’internationalisation de la filière, ses exportations ont quasiment doublé, à 425 millions d’euros l’an dernier. Cette année, malgré les difficultés d’approvisionnement, elles pourraient encore bondir de 30%, avance son secrétaire général, Gil Nadais.
« Nous avons ici plusieurs entreprises de pointe, parmi les meilleurs d’Europe ou du monde », dit-il en citant en exemple la première entreprise hors d’Asie à produire des cadres en carbone, la seule usine au monde à fabriquer des cadres en aluminium soudés par des robots ou encore le N.1 mondial des sièges pour enfants.
En 2020, le Portugal a produit 2,6 millions de bicyclettes, dont la quasi-totalité a été exportée, ce qui place le pays ibérique au premier rang européen devant l’Italie et l’Allemagne, selon Eurostat.
Mesures anti-dumping
Presque la moitié de ce volume est sorti des ateliers de la société RTE, fournisseur des magasins Décathlon et qui prévoit en janvier prochain d’agrandir son usine de Vila Nova de Gaia, près de Porto (nord), et d’en ouvrir une deuxième en Pologne.
Au-delà de la main-d’oeuvre bon marché et d’un savoir-faire ancré dans l’histoire, la filière portugaise du vélo a profité des tarifs douaniers imposés par l’Union européenne aux bicyclettes importées de Chine. « Sans les mesures anti-dumping, notre filière n’en serait pas là », reconnaît son Gil Nadais, en soulignant qu’au Portugal la production de vélos était repartie à la hausse avant même la pandémie, alors qu’elle reculait ailleurs en Europe.
D’après Kevin Mayne, responsable de l’association européenne du secteur « Cycling Industries Europe », ce marché devrait continuer à croître de 15% d’ici 2030, « soit 10 millions de vélos supplémentaires par an ».
« Le prix moyen d’un vélo, l’utilisation du vélo ou la pénétration des vélos électriques sont meilleurs en Europe que partout ailleurs dans le monde », explique-t-il à l’AFP. Par conséquent, « la filière portugaise et d’autres +clusters+ seront gagnants car davantage d’entreprises vont maintenant probablement décider que l’Europe représente un meilleur investissement à long terme ».
LQ/AFP