Banque coopérative prisée des collectivités locales en quête de financements éthiques, la NEF (nouvelle économie fraternelle) tente d’éteindre une polémique sur ses liens avec l’anthroposophie, mouvance suspectée de « dérive sectaire » par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
Spécialisé dans la finance verte, l’établissement basé en région lyonnaise compte 80 000 clients épargnants et accorde environ 200 millions de crédits par an à une centaine de collectivités locales, dont la ville de Lyon, et à diverses associations.
C’est justement à Lyon qu’a surgi la polémique, quelques jours après la publication du rapport annuel de la Miviludes et en pleine campagne participative de levée de fonds.
Le rapport publié début novembre consacre un chapitre entier à l’anthroposophie, un courant de pensée créé à la fin du XIXᵉ siècle par le spiritualiste autrichien Rudolf Steiner (1861-1925), le fondateur des cosmétiques Weleda.
En 2021, la doctrine « réunissant un ensemble de croyances tirées de religions traditionnelles et de mouvements ésotériques » a fait l’objet de 31 signalements – presque autant que les 35 sur la scientologie-, selon la Miviludes.
Ses préceptes ont notamment infusé dans le domaine médical, agricole et scolaire, ses écoles alternatives Steiner-Waldorf étant particulièrement pointées dans le rapport.
Elle « exerce également une influence prépondérante sur certains établissements bancaires « éthiques » au pouvoir financier extrêmement important comme Triodos, GLS ou, en France, la Nouvelle économie fraternelle (NEF) », selon le rapport 2021.
« Accusations anciennes »
Pour le président du directoire de la NEF, Bernard Horenbeek, ce rapport « fait un copié-collé d’éléments qui remontent à plus de vingt-cinq ans ».
« Ces accusations anciennes sont complètement éclaircies depuis longtemps. La Miviludes nous cite sans être venue nous voir. De quelle influence parle-t-elle ? C’est complètement fantasmé », abonde Pierre-Emmanuel Valentin, président du conseil de surveillance de la banque.
En 2017, la Miviludes présentait déjà la NEF comme le « système de financement » de l’anthroposophie.
Le sujet a animé le conseil municipal de Lyon du 10 novembre, alors que l’équipe du maire écologiste Grégory Doucet affiche depuis longtemps sa volonté de « faire appel à des banques éthiques, avec une traçabilité de l’origine des fonds ».
Un élu de l’opposition centriste a dénoncé le choix de la NEF pour un emprunt de 3 millions d’euros contracté en 2021, sur un total de 400 millions d’emprunts municipaux.
« Vous n’avez pas l’air de prendre conscience du danger qu’engendre le courant de pensée anthroposophique. Je ne pense pas que les Lyonnais apprécient que l’argent public continue à légitimer une banque sous influence d’un mouvement ésotérique et sectaire », a déclaré Ludovic Hernandez, du groupe « Pour Lyon » auquel appartient l’ancien maire Gérard Collomb.
« De nombreuses collectivités empruntent à la NEF. C’est une banque qui a tous les agréments nécessaires. Du moment que l’Etat la laisse fonctionner et lui donne ses agréments, il n’y a pas de raison d’en douter », lui a répondu la première adjointe en charge des Finances, Audrey Henocque, en précisant qu’elle avait écrit à la Miviludes pour demander des précisions.
« Gérard Collomb lui-même a utilisé la NEF pour des emprunts à deux reprises, en 2012 et 2014, vous réagissez seulement aujourd’hui? » a-t-elle ironisé.
« Transparence »
Face aux critiques, une « journée porte ouverte » a été organisée mardi au siège de la NEF.
« Notre ADN, c’est la transparence. Nous publions chaque année l’intégralité des crédits que nous accordons, aucun autre établissement bancaire ne peut prétendre à une telle clarté. Notre modèle est simple : l’épargne de nos clients permet de financer des projets identifiés, selon un circuit financier court, sans spéculation opaque », affirme Ivan Chaleil, le directeur commercial.
Créée en 1979 à Villeurbanne, sous forme d’association, la NEF est devenue un établissement bancaire en 1988, adossé au Crédit coopératif pour obtenir des garanties suffisantes dans ses opérations de crédit.
Installée depuis 2013 à Vaulx-en-Velin dans un immeuble à énergie positive, elle compte désormais 42.000 sociétaires, pour un bilan annuel d’un milliard d’euros.
Son credo : « faire la banque différemment, dans une logique citoyenne ». « Quand les agriculteurs cherchaient à financer le bio, quand sont arrivées les premières éoliennes, nous étions les premiers à apporter une aide », assure le président du directoire.
La NEF souhaite désormais devenir « une banque éthique et indépendante de tout groupe bancaire ». Une demande d’agrément est en cours. Sa campagne de levée de fonds « Big Banque », qui invite à « participer à l’émergence d’une nouvelle banque en France », a permis de collecter plus de 4,5 millions d’euros depuis son lancement en octobre.