Légèrement plus optimiste depuis l’accord commercial sino-américain, la Banque centrale européenne a lancé jeudi le premier réexamen de sa stratégie depuis 17 ans, pour ajuster ses objectifs et intégrer la protection du climat à ses instruments.
« L’année s’annonce chargée pour nous », a résumé face à la presse la nouvelle patronne de l’institut, Christine Lagarde, qui espère voir ce vaste chantier aboutir « en novembre ou décembre », sans exclure de prolonger la réflexion. La BCE pourra s’y consacrer d’autant plus librement qu’elle n’a touché ni à ses taux ni à ses rachats d’actifs jeudi, confirmant l’arsenal de soutien à l’économie adopté en septembre sous la direction de son ex-président Mario Draghi, au prix de profondes divisions. Son principal taux reste donc à zéro, tandis que les banques se verront appliquer un prélèvement de 0,50% sur les dépôts confiés à la banque centrale au lieu de les prêter à leurs clients.
La BCE continuera par ailleurs à acheter 20 milliards d’euros de dette publique et privée par mois. Christine Lagarde a cependant distillé quelques notes d’optimisme: elle juge les risques conjoncturels « moins prononcés » maintenant que Washington et Pékin ont conclu une trêve commerciale, et qualifie de « positive » l’avancée des discussions américano-européennes sur le commerce. Mais pour l’essentiel, « comme tout est calme sur le front de la politique monétaire, la BCE s’apprête à se regarder le nombril » pour la première fois depuis 2003, synthétise Ulas Akincilar, vendeur d’actions de la plateforme Infinox.
Intégrer la protection du climat dans la stratégie
L’un des enjeux les plus suivis, inédit pour les gardiens de l’euro, portera sur l’intégration de la protection du climat à leur stratégie, prônée par Christine Lagarde avant même qu’elle prenne ses fonctions début novembre. « Nous aurons un débat » sur la place du combat contre le changement climatique dans les instruments et objectifs de la BCE, a expliqué Christine Lagarde, mais « je suis consciente du danger de ne rien faire et je pense que ne pas essayer est en soi un échec ». Une piste évoquée par les analystes serait de « verdir » les rachats d’obligations publiques et privées, le fameux « QE » par lequel la BCE a engagé plus de 2 600 milliards d’euros depuis 2015 pour soutenir l’économie, en l’orientant vers des titres respectant des critères environnementaux. Mais le puissant président de la Bundesbank, la banque centrale allemande, y est ouvertement opposé et ce thème cher à la nouvelle présidente pourrait raviver les divisions qu’elle s’efforce d’apaiser.
Techniquement, le point central sera la redéfinition de la « stabilité des prix », soit l’unique mandat fixé à la BCE. Cette expression revient actuellement à cibler une inflation « proche mais inférieure à 2% », derrière laquelle l’institut court en vain depuis sept ans. L’institut de Francfort pourrait désormais introduire l’idée de « symétrie », permettant à l’indice de prix de dévier de part et d’autre des 2% sans ajuster immédiatement sa politique. « Attendez-vous à des rumeurs régulières et des allusions des responsables de la BCE pendant les prochains mois », souligne Carsten Brzeski, économiste de la banque ING. Enfin, Christine Lagarde a promis de se pencher sur les effets secondaires de la politique très accommodante menée par la BCE depuis plusieurs années, en particulier les taux négatifs très décriés en Allemagne et que certaines banques répercutent à leurs clients. « Nous avons cela depuis un long moment, et cela limite notre capacité à répondre à d’éventuels chocs exogènes », a convenu Christine Lagarde, quand son prédécesseur s’évertuait à marteler que la BCE avait encore « toute sa boîte à outils » à disposition.
AFP/LQ