Demande morose et boom du schiste américain lui ont forcé la main : l’Opep a formalisé mardi ses fiançailles avec la Russie – une alliance nécessaire pour conserver son influence sur les cours -, quitte à conforter l’ascendant controversé de Moscou sur la politique du cartel.
Les 14 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et leurs dix pays partenaires, menés par la Russie, ont adopté mardi une « charte » de « coopération permanente », qualifiée d’ « historique » par l’Arabie saoudite. Un vote à main levée s’est tenu lors d’une réunion à Vienne, où l’Opep a son siège.
Leur alliance, jusqu’alors informelle, remonte à fin 2016 : confrontés à l’effondrement des cours du brut, les membres de l’Opep s’étaient mis d’accord avec un groupe de producteurs hors cartel pour limiter leur offre.
Les 24 pays, regroupés sous l’appellation Opep+, pompent la moitié du pétrole du globe. Sans surprise, l’ensemble de ces pays a également reconduit mardi, pour neuf mois, leur accord de décembre dernier visant à réduire leur offre cumulée de 1,2 million de barils/jour par rapport à leur production d’octobre 2018.
Contrer les Américains
Cette extension jusqu’à mars 2020 intervient alors que les prix restent sous forte pression, entre une offre abondante alimentée par le boom du brut américain, et une consommation mondiale en berne sur fond d’essoufflement économique. Dans ce contexte, l’accord de coopération signé mardi crée une sorte d’Opep élargie qui souhaite faire bloc face aux États-Unis, premier producteur de la planète et dont l’offre de schiste ne cesse de gonfler les stocks mondiaux.
Cette charte établit « une plateforme nous donnant l’occasion de rencontres régulières pour surveiller le marché, mais également pour réagir si nécessaire » en coordonnant plus étroitement la production des États membres, s’est félicité le ministre russe de l’Énergie Alexandre Novak. C’est « une base solide pour un avenir de coopération à long terme », a-t-il estimé.
Cette évolution est indispensable pour endiguer la marginalisation du cartel, à en croire son homologue saoudien, Khaled al-Falih. « La volatilité des cours ne disparaîtra pas de sitôt », et pour intervenir de façon efficace sur l’offre, « il fallait un cadre institutionnel (…) intégrant l’influence d’autres pays producteurs que les seuls membres de l’Opep », a-t-il fait valoir. « L’Opep seule, c’est moins de 30% de la production mondiale. L’influence de la Russie, grand exportateur, est bienvenue », avait-il déjà plaidé lundi.
L’Ascendant russe consacré
La Russie est le deuxième pays producteur de brut derrière les États-Unis et devant l’Arabie saoudite. La charte sera d’ailleurs ouverte à d’autres pays producteurs s’ils le souhaitent, avait insisté le ministre saoudien, assurant avoir « parlé à certains d’entre eux ». La décision a cependant fait débat: « Les discussions ont été houleuses » parmi les membres du cartel, selon al-Falih. Les quatorze membres ont finalement donné leur feu vert tard lundi, après plusieurs heures de pourparlers.
De fait, ce rapprochement consacre l’ascendant pris par la Russie sur la politique de l’Opep… au grand dam de l’Iran, qui s’était dit farouchement opposé à une coopération permanente, avant de s’y rallier avec réticence.
« Certaines modifications ont été faites (…) Nous avons insisté sur le fait que l’Opep telle qu’elle est subsistera, que cette charte n’aura pas d’impact sur l’Opep et ses prises de décision », a expliqué le ministre iranien du Pétrole Bijan Namdar Zanganeh. A son arrivée à Vienne lundi, le ministre avait dénoncé « l’unilatéralisme » de l’entente Moscou-Ryad et prédit que l’Opep en tant que telle pourrait « en mourir ». L’Iran, qui pilotait traditionnellement la politique de l’organisation de concert avec Ryad, son grand rival régional, se trouve désormais isolé du fait de la chute de ses exportations liée au retour des sanctions américaines.
Les dirigeants russe et saoudien s’étaient ainsi mis d’accord la semaine dernière, en marge du G20, sur la prolongation des baisses de production de l’Opep+, avant même les réunions de Vienne.
LQ/AFP