L’effondrement du prix du pétrole a ravi les consommateurs européens et américains, donnant un sérieux coup de pouce à une reprise encore fragile après la crise de 2008, mais les cours du brut menacent désormais l’économie mondiale, même en cas de rebond.
«Nous sommes aujourd’hui dans une situation telle que ça ne peut être que des mauvaises nouvelles à court terme», a prévenu Jean-Michel Six, le chef économiste de l’agence de notation Standard & Poor’s pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique.
Ce pessimisme tranche avec la satisfaction des consommateurs. Avec la baisse des prix à la pompe et du chauffage, le citoyen européen ou américain a gagné du pouvoir d’achat au fur et à mesure que le cours du baril dégringolait, dégageant ainsi des revenus pour sa propre consommation, avec un impact non négligeable sur la croissance.
En Allemagne, par exemple, «sur une croissance qui tourne autour de 1,5% en 2015, il y a, à peu près, quatre dixièmes qui sont dus au prix du pétrole. C’est vraiment un rebond de la consommation», a constaté Ludovic Subran, chef économiste chez Euler Hermes.
Jusqu’à ces derniers mois, l’effondrement du cours du pétrole ne constituait une mauvaise nouvelle que pour les pays producteurs et pour les émergents, victimes de la chute de l’ensemble des matières premières en raison de l’essoufflement de la croissance chinoise, la locomotive de la croissance mondiale ces dernières années.
Mais à mesure que la chute du cours se prolonge, les pays développés sont aussi pris dans la tourmente, comme a alerté le FMI récemment.
Selon l’institution financière, cette évolution des prix a certes l’avantage d’abaisser les coûts de production de nombreux secteurs et d’entraîner des conséquences positives pour les consommateurs, mais ces effets favorables s’«atténuent», à mesure qu’augmentent les pertes des pays producteurs, «soumis à rude épreuve».
Commerce mondial frappé «de plein fouet»
«Les baisses (du pétrole et des matières premières) frappent le commerce mondial de plein fouet», explique M. Six, les pays émergents ne disposant plus des ressources nécessaires pour maintenir leurs importations au même niveau. Cette situation se répercute sur les performances des groupes mondialisés qui avaient compensé leurs pertes en Europe et aux États-Unis après la crise de 2008 en misant sur la croissance de pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil.
«Plus le contre-choc pétrolier dure longtemps, plus les gagnants et les perdants vont se cliver davantage, que ce soit en termes de pays ou en termes de secteur», a souligné M. Subran, en allusion aux énormes difficultés qu’éprouvent les entreprises pétrolières ou parapétrolières, au contraire des bénéficiaires comme la chimie ou les transports.
«Sur le secteur de l’énergie, cela peut avoir des conséquences y compris financières», a prévenu Olivier Garnier, chef économiste groupe à la Société générale, qui craint des problèmes de dettes dans ce secteur.
L’agence de notation Moody’s a d’ailleurs menacé vendredi d’abaisser la note de 120 entreprises du secteur pétrolier. Plus grave: M. Garnier pointe les dangers de «déstabilisation d’un certain nombre de pays» producteurs, qui avaient l’habitude d’acheter la paix sociale grâce aux abondants revenus du pétrole.
Pour M. Subran, des pays comme l’Algérie, l’Arabie saoudite, l’Angola ou encore l’Equateur, risquent très vite «d’arriver au bout des outils de politique économique pouvant les ramener à un petit peu de croissance». Pour faire face à la chute de leurs revenus, les pays producteurs n’ont pas le choix: «davantage de dette, davantage de privatisations ou d’austérité», explique le chef économiste d’Euler Hermes.
En d’autres termes, des mesures impopulaires qui «se traduisent tout de suite par de grosses pressions sociales». Plusieurs pays du Golfe, à l’image de l’Arabie saoudite, ont d’ailleurs ont pris des mesures sans précédent pour réduire les subventions sur les produits énergétiques, comme l’essence, provoquant une situation paradoxale: les prix à la pompe augmentent chez les producteurs et baissent chez les consommateurs.
Et si les cours repartaient à la hausse, les perspectives ne semblent pas encourageantes non plus, comme le souligne M. Six qui redoute un «choc pétrolier», avec une hausse «marquée» des cours. Il s’agirait alors aussi d’une «mauvaise nouvelle» pour l’économie mondiale.
Un rebond trop brutal «affaiblirait le pouvoir d’achat en Europe et donc la consommation, alors que la reprise reste fragile», insiste-t-il.
AFP/M.R.